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Je ne fais guère ici que répéter les paroles que j’ai moi-même entendues, et il y a peu de médecins qui n’aient été obligés d’écouter de semblables plaintes.

Il arrive assez souvent que, pour ces sortes de maladies, le traitement le mieux dirigé reste impuissant, parce que l’affection mentale, qui d’abord n’était qu’effet, devient cause à son tour, et contribue à entretenir le désordre corporel. Dans ces cas, il faut que le médecin cherche à guérir l’esprit en même temps que le corps.

Ainsi, pour le malade qui se plaindra d’avoir des grenouilles dans l’estomac, on devra, si c’est un homme capable de suivre un raisonnement, ou de profiter d’une observation, chercher à lui faire comprendre la nature et la cause des mouvemens qu’il sent à l’épigastre et des bruits qu’il entend ; si c’est au contraire un homme inaccessible à la conviction, le mieux sera de lui persuader qu’on a un moyen de faire sortir ces animaux, et il n’y aura aucun mal à le tromper par quelque tour de passe-passe, pour lui prouver que le moyen a réussi. C’est ce qu’on a fait quelquefois ; après avoir donné par exemple à l’hypochondriaque un purgatif violent, on a placé dans le bassin de sa chaise quelques petites grenouilles mortes ou vivantes, et on s’est bien gardé de mettre les parens ou les amis du malade dans le secret, car un mot imprudent de leur part pourrait, même après un temps assez long, ramener tous les accidens. On aura de cette façon vingt personnes honorables toutes prêtes à lever la main pour attester un fait faux.

Les médecins des siècles passés se sont quelquefois montrés sur ce point aussi crédules que les malades, et ils ont mis leur esprit à la torture pour inventer des remèdes propres à chasser les grenouilles ; je me contenterai d’en indiquer un seul, qui était fondé sur l’antipathie qu’on supposait exister entre les grenouilles ou crapauds et les diverses espèces de serpens.

Si on avait pu introduire une couleuvre dans le corps, comme on introduit un chat dans un grenier infesté de rats, nul doute que les crapauds n’eussent aussitôt quitté la place. Malheureusement le moyen était impraticable ; mais on se rappela que la seule odeur du chat faisait fuir les souris : l’on pensa que celle du serpent ne pouvait manquer d’avoir la même influence sur les crapauds. D’après cette idée, on inventa la formule suivante :

On prend un serpent, et après en avoir retranché la tête et la queue, on l’écorche et on le fait sécher à l’ombre. On coupe le corps par tronçons, qu’on fait bouillir dans l’eau, et on recueille l’huile qui monte à la surface.