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plusieurs jours, avait déjà pris une teinte plombée. Les personnes qui ont eu lieu d’observer souvent ces produits monstrueux de la conception, concevront fort bien comment un petit être, quelquefois long seulement de quatre ou cinq pouces, qui offre des yeux saillans placés presque au sommet de la tête, une large bouche sans lèvres distinctes, un gros ventre et de petits membres mal formés, a pu, aux yeux de personnes ignorantes, passer pour une sorte de crapaud.

Je me suis encore une fois, et sans m’en apercevoir, engagé dans les vieux contes ; il est nécessaire de finir et d’arriver aux pluies de grenouilles.

Un grand nombre d’auteurs anciens ont parlé de ces pluies. Phylarque, cité par Athénée, dit que le fait est arrivé plus d’une fois ; l’historien Héraclide rapporte que dans certains cantons de la Péonie, il en tomba en grande abondance, et que ces animaux, mourant pour la plupart sur le lieu même, répandirent dans l’air un telle infection, que les habitans, menacés de la peste, prirent le parti d’émigrer. Suivant Diodore de Sicile et suivant Elien, autant en était arrivé à un peuple de l’Inde, les Autariates ou Attariotes, avec cette seule différence que chez eux il était tombé plus de têtards à demi métamorphosés que de grenouilles à l’état parfait.

Théophraste, ainsi que je l’ai dit, ne croyait point aux pluies de grenouilles, mais puisqu’il a pris la peine de combattre cette opinion, c’est une preuve qu’elle était alors assez en crédit. Dans une dissertation ex professo sur les animaux qui apparaissent soudainement, il passe en revue les diverses causes auxquelles on peut attribuer ces phénomènes, et il est conduit à les ranger en plusieurs classes. « Certains animaux, dit-il, se montrent tout à coup en grande abondance, parce qu’il s’est trouvé quelque circonstance accidentelle très favorable à leur production ; c’est ainsi que dans les lieux qui ont servi d’emplacement à un camp ou à un marché, aussitôt que les immondices cessent d’être agitées, elles donnent naissance à des quantités innombrables de mouches. Dans d’autres cas, au contraire, les animaux ne viennent pas de naître au moment où on commence à les voir ; ils existaient déjà depuis plus ou moins long-temps. Telles sont les grenouilles qui apparaissent quelquefois après la pluie ; car il ne pleut pas des grenouilles comme beaucoup de gens le croient ; celles qu’on voit à la surface du sol, après les orages dont j’ai parlé, ne viennent pas d’en haut, mais d’en bas ; elles étaient cachées sous terre, et quittent leur retraite lorsque l’eau commence à y pénétrer. »

L’opinion de Théophraste eut peu de partisans, et dans le moyen-âge, par exemple, les écrivains qui rappelèrent les apparitions subites de grenouilles admirent constamment que les animaux étaient tombés du