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REVUE DES DEUX MONDES.

CLAVAROCHE.

Un rendez-vous dans un jardin n’est pas, d’ailleurs, un si gros péché. À la rigueur, si vous craignez l’air, vous n’avez qu’à ne pas descendre. On ne trouvera que le jeune homme, et il s’en tirera toujours. Il serait plaisant qu’une femme ne puisse prouver qu’elle est innocente quand elle l’est. Allons, vos tablettes, et prenez-moi le crayon que voici.

JACQUELINE.

Vous n’y pensez pas, Clavaroche ; c’est un guet-à-pens que vous faites là.

CLAVAROCHE, lui présentant un crayon et du papier.

Écrivez donc, je vous en prie : « À minuit, ce soir, au jardin. »

JACQUELINE.

C’est envoyer cet enfant dans un piége, c’est le livrer à l’ennemi.

CLAVAROCHE.

Ne signez pas, c’est inutile, (il prend le papier.) Franchement, ma chère, la nuit sera fraîche, et vous ferez mieux de rester chez vous. Laissez ce jeune homme se promener seul, et profiter du temps qu’il fait. Je crois, comme vous, qu’on aurait peine à croire que c’est pour vos marchands qu’il vient. Vous ferez mieux, si on vous interroge, de dire que vous ignorez tout, et que vous n’êtes pour rien dans l’affaire.

JACQUELINE.

Ce mot d’écrit sera un témoin.

CLAVAROCHE.

Fi donc ! nous autres gens de cœur, pensez-vous que nous allions montrer à un mari de l’écriture de sa femme ? Que pourrions-nous, d’ailleurs, y gagner ? en serions-nous donc moins coupables de ce qu’un crime serait partagé ? D’ailleurs, vous voyez bien que votre main tremblait un peu sans doute, et que ces caractères sont presque déguisés ? Allons, je vais donner cette lettre au jardinier, Fortunio l’aura tout de suite. Venez ; les vautours ont leur proie, et l’oiseau de Vénus, la pâle tourterelle, peut dormir en paix sur son nid.

(Ils sortent.)

Scène II.

Une charmille.
FORTUNIO, seul, assis sur l’herbe.

Rendre un jeune homme amoureux de soi, uniquement pour détourner sur lui les soupçons tombés sur un autre ; lui laisser croire