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REVUE DES DEUX MONDES.

quence. Tout se serait passé à merveille, et personne ne pourrait se plaindre, le jour où la vérité viendrait.

(Il se rasseoit.)

Pourquoi s’est-elle adressée à moi ? Savait-elle donc que je l’aimais ? Pourquoi à moi plutôt qu’à Guillaume ? Est-ce hasard ? est-ce calcul ? Peut-être, au fond, se doutait-elle que je n’étais pas indifférent ; m’avait-elle vu à cette fenêtre ? S’était-elle jamais retournée le soir, quand je l’observais dans le jardin ? Mais si elle savait que je l’aimais, pourquoi alors ? Parce que cet amour rendait son projet plus facile, et que j’allais, dès le premier mot, me prendre au piége qu’elle me tendait. Mon amour n’était qu’une chance favorable ; elle n’y a vu qu’une occasion.

Est-ce bien sûr ? N’y a-t-il rien autre chose ? Quoi ! elle voit que je vais souffrir, et elle ne pense qu’à en profiter ! Quoi ! elle me trouve sur ses traces, l’amour dans le cœur, le désir dans les yeux, jeune et ardent, prêt à mourir pour elle, et lorsque, me voyant à ses pieds, elle me sourit et me dit qu’elle m’aime, c’est un calcul, et rien de plus ! Rien, rien de vrai dans ce sourire, dans cette main qui m’effleure la main, dans ce son de voix qui m’enivre ? Ô Dieu juste ! s’il en est ainsi, à quel monstre ai-je donc affaire, et dans quel abîme suis-je tombé ?

(Il se lève.)

Non ! tant d’horreur n’est pas possible ! Non, une femme ne saurait être une statue malfaisante, à la fois vivante et glacée ! Non, quand je le verrais de mes yeux, quand je l’entendrais de sa bouche, je ne croirais pas à un pareil métier. Non, quand elle me souriait, elle ne m’aimait pas pour cela, mais elle souriait de voir que je l’aimais. Quand elle me tendait la main, elle ne me donnait pas son cœur, mais elle laissait le mien se donner. Quand elle me disait : Je vous aime, elle voulait dire, aimez-moi. Non, Jacqueline n’est pas méchante ; il n’y a là ni calcul, ni froideur. Elle ment, elle trompe, elle est femme ; elle est coquette, railleuse, joyeuse, audacieuse, mais non infâme, non insensible. Ah ! insensé ! tu l’aimes ! tu l’aimes ! tu pries, tu pleures, et elle se rit de toi !

(Entre Madelon.)
MADELON.

Ah ! Dieu merci, je vous trouve enfin ; madame vous demande ; elle est dans sa chambre. Venez vite, elle vous attend.

FORTUNIO.

Sais-tu ce qu’elle a à me dire ? Je ne saurais y aller maintenant.