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LES CHANTS DU CRÉPUSCULE.

J’aimerais mieux :


Chante, l’amour au cœur et la couronne au front,


car du moment que le chant part et s’élance, plus de blasphème ! on l’oublie, il disparaît. Pourquoi donc le désigner en finissant, comme la chose qui subsiste au front et qui a l’air de défier Dieu ?

Mais, à part ces taches légères et faciles à enlever, cette pièce en son ensemble est tout un poème qui unit (alliance si rare dans un certain mode lyrique !) le solennel et le vrai, le magnifique et le senti. Elle donne la meilleure et la plus profonde réponse à cette question souvent débattue : si les grands poètes qui nous émeuvent et rendent de tels sons au monde ont en partage ce qu’ils expriment ; si les grands talens ont quelque chose d’indépendant de la conviction et de la pratique morale ; si les œuvres ressemblent nécessairement à l’homme ; si Bernardin de Saint-Pierre était effectivement tendre et évangélique ; quelle était la moralité de Byron et de tant d’autres, etc., etc. Oui, à l’origine, au moment voisin de la fusion du métal, au sortir du baptême de la cloche, l’homme et l’œuvre se ressemblent, la pureté du son répond à celle de l’instrument. Puis la vanité vient et raie, égratigne avec son poinçon aigu la surface jusque-là vierge ; puis l’impiété, l’impureté aux grossières images ; et cependant, quand l’instrument a été de bonne fonte, le timbre n’en est pas altéré ; dès qu’il vibre, il rend le même son pieux, plein, enivrant, qui étonne et scandalise presque celui qui l’a pu observer de près à l’état immobile. André Chénier qui, je le crois bien, songeait en ce moment au poète Le Brun, son ami, dont il ne pouvait concilier le talent et le caractère, s’écriait :


Ah ! j’atteste les cieux que j’ai voulu le croire,
J’ai voulu démentir et mes yeux et l’histoire.
Mais non ; il n’est pas vrai que des cœurs excellens
Soient les seuls en effet où germent les talens.
Un mortel peut toucher une lyre sublime
Et n’avoir qu’un cœur faible, étroit, pusillanime,
Inhabile aux vertus qu’il sait si bien chanter.
Ne les imiter point et les faire imiter.