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DE L’ÉMANCIPATION DANS NOS COLONIES.

caines, à l’élévation lente de ces esprits infirmes et lourds, à la culture successive de ces ames ignorantes, qui perdaient leur légère et première couche de civilisation au frottement perpétuel de la barbarie.

Ces esclaves sont traités par leurs maîtres, malgré ce qui s’en dit et ce qui s’en croit parmi nous, de manière à donner de l’envie aux paysans les plus heureux de la France. Le riz, le maïs, le manioc, forment la base de leur nourriture. La quantité qui leur en est distribuée régulièrement est taxée par des réglemens généraux, ce qui veut dire qu’elle n’est ni arbitraire, ni insuffisante. La quantité et la qualité des vêtemens auxquels ils ont droit est déterminée de la même manière, et ils habitent des cases spacieuses et saines, la plupart du temps entourés de petits jardins qu’ils cultivent, et dont le revenu leur appartient à titre de pécule, comme chez les Romains. Une chose presque incroyable pour nous, c’est que les esclaves auxquels on accorde le temps nécessaire pour cultiver leurs jardins, et qui trouvent dans ce revenu de quoi satisfaire à une foule de superfluités, se refusent habituellement à ce travail. Nous lisons dans des documens officiels fournis, au mois de mai 1835, par le conseil colonial de la Guadeloupe, que l’usage est établi depuis à peu près trente ans dans la colonie d’accorder ainsi des portions de terre aux esclaves, avec un jour par semaine, sans compter le dimanche, pour les cultiver, et qu’il n’y a que douze ans environ que cette idée généreuse porte quelques fruits, parce que les maîtres se sont mis à exiger des nègres qu’ils fissent la tâche pour eux-mêmes aussi rigoureusement que la tâche pour l’habitation. Ces documens ajoutent que l’esclave qui travaille pour lui sans contrainte est une espèce de phénomène parmi ses pareils, et que si cette contrainte venait à cesser généralement, les nègres aimeraient mieux se priver des mille adoucissemens que cette culture leur donne, plutôt que de les acquérir au prix même du travail d’un seul jour. Cette expérience de la fainéantise native des nègres, faite pendant trente ans par la Guadeloupe, est d’un bien funeste augure pour le moment où les nègres seront émancipés ; et il est difficile de concevoir que ceux qui refusent de travailler un jour pour eux-mêmes, travailleront six jours pour autrui.

La masse des esclaves diminue un peu tous les ans par les affranchissemens partiels ; nous autres, en France, qui ne savons guère les choses lointaines, nous nous réjouissons fort quand le Moniteur publie à des époques fixes et éloignées le nombre des affranchissemens annuels. Nous nous trouvons heureux de ces nouveaux citoyens auxquels la civi-