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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

avait épuisé l’existence et ne pouvait que gagner à changer de monde : sa vie l’encourageait à mourir. Une seule pensée attristait ses derniers instans. Elle allait reposer loin de la tombe de ses pères ; ses os ne seraient pas ensevelis dans la terre bénite de la Bretagne ! Et que deviendrait sa pauvre ame si elle revenait la nuit ? Il lui faudrait errer avec des ames étrangères ; elle ne pourrait voir de loin sa petite ville endormie au clair de lune, entendre l’horloge de sa paroisse, écouter le vent gémir dans les grandes halles que, jeune fille, elle fuyait avec tant d’effroi, lorsque le bigniou invitait à la danse, et qu’elle se sentait prête à céder à cet appel du démon ! À ces souvenirs, un regret cuisant s’emparait de la mourante. Elle tournait sa tête vers le mur pour que Pierre ne la vît pas, et elle pleurait doucement jusqu’à ce que ses yeux se fussent fermés et qu’un songe lui eût fait voir le cimetière de Paimpol, sa chère et dernière espérance. Cependant elle gardait le silence, car elle ne voulait pas affliger Pierre avant l’heure ; mais quand le moment solennel fut venu, quand la jeune femme sentit que son ame lui tremblait sur les lèvres et qu’elle allait mourir, elle appela Pierre à son chevet :

— Pierre, lui dit-elle, jure-moi que tu feras ce que je vais te demander.

— Je te le jure, dit le jeune homme en pleurant.

— Je vais mourir, promets-moi de ramener mon corps en Bretagne, et de m’enterrer au cimetière de Paimpol, près de ma mère.

— Je te le promets, répondit encore Pierre, étouffé par les sanglots.

— Merci, Pierre, murmura Yvonne ; et, comme si elle n’eût attendu que cette promesse, elle étendit ses deux mains vers son mari, sourit et mourut.

La douleur de Pierre fut profonde ; mais il ne s’y abandonna pas lâchement. Il avait son serment à accomplir. Cette ame faible était devenue forte par la religion et l’amour. Il renonça à son commerce, vendit tout ce qu’il possédait, acheta de sa fortune entière le droit d’emporter le corps de sa femme, et l’embarqua avec lui pour la Bretagne. Sept ans auparavant, un navire l’avait transporté, s’appuyant sur le bras d’une fiancée et le cœur gonflé de bonheur ; aujourd’hui, le même navire le remportait au pays d’où il était venu, assis près d’un cercueil où il avait cloué bonheur et fiancée !

La traversée se fit sans accidens. Le huitième jour, les côtes de Bretagne apparurent. Déjà l’archipel de Bréhat se montrait au loin, tout argenté par les brisans ; le cœur de l’horloger se serra, et il sentit des