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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

Bréhat recueillirent l’équipage. Pierre et son cercueil furent également sauvés.

L’ami dont nous tenons tous les détails de ce récit avait vu l’horloger breton conduire lui-même à son trou de terre le corps de la jeune femme. Après avoir élevé à Yvonne, avec ce qui lui restait d’argent, une tombe en granit rose, que l’on peut voir encore, Pierre est reparti pour chercher du travail, pauvre et simple ouvrier comme naguère. Seulement cette fois il est parti en laissant dans le cimetière de Paimpol douze années de sa vie passée et les espérances de sa vie à venir !

§ ii.
L’ouvrier breton de nos jours. — Les tisserands. — Les pêcheurs. — Jahoua le menuisier.

En Bretagne, les ouvriers ne jouissent pas du grossier bien-être auquel atteignent les cultivateurs. Ceux-ci du moins ne connaissent jamais la faim. Leurs enfans grandissent autour d’eux bien nourris, sains, forts, et bronzés à l’air des campagnes. Si l’hiver vient sans que la mère ait pu leur économiser un vêtement, ils ont une bonne fascine de landes pour se réchauffer au foyer, une bonne couette de balle fraîche pour dormir douillettement. Puis le soleil brille sur leurs têtes, les oiseaux chantent sur leurs toits de paille, la campagne leur appartient avec tous ses plaisirs. L’hiver, ils ont les lacets tendus dans les prés, les boules de neige et les contes de veillées ; aux premières feuilles du printemps, viennent les hannetons dorés et les papillons ; les nids dans les épines blanches, les houlettes de fleurs de lait et les chapelets de marguerites ; en été, les mûres le long des fossés, les lucets dans les fourrés des montagnes, les grandes courses dans la vallée et les bains pris sous la roue du moulin ; en automne, enfin, les batteries, la récolte des pommes et la chasse au hérisson dans les vergers. Chaque saison leur apporte ainsi ses amusemens. Ils connaissent mille jeux ignorés de l’enfant des villes. Aussi aspirent-ils la vie par tous les pores ; ils rayonnent la joie autour d’eux ; ils la communiquent à la maison entière, car là où les enfans sont heureux, la famille est tranquille, là où les enfans ne souffrent pas, les pères sont patiens et attendent l’avenir. L’ouvrier, lui, n’a point cette encourageante consolation. Pauvre et triste, il est sûr que chaque année le froid et la faim viendront le visiter. Logé dans les venelles fétides de quelque petite ville ou dans les