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chine, sans détourner la tête avec une surprise d’enfant, qui n’était pas exempte d’une superstitieuse inquiétude ; mais peu à peu ils s’habituèrent à sa présence ; ses rauques sifflemens devinrent pour eux comme une voix amie et accoutumée ; ils ne purent plus travailler sans l’entendre ; ils l’avaient baptisée du nom de Jeannette, et quand elle était arrêtée, ils disaient d’un air triste : — Jeannette dort aujourd’hui ; et les marteaux tombaient plus languissamment sur l’enclume, et il semblait à tous qu’il manquait quelque chose à l’atelier.

Plus tard, l’établissement s’agrandit ; de nouvelles machines furent exécutées, et le nombre des travailleurs augmenta ; mais M. Frimot continua à les prendre parmi les ouvriers du pays. Nous avons été témoin de l’entrée dans les ateliers de plusieurs de ces campagnards, et c’était en vérité chose plaisante que de voir leur admiration inquiète, au milieu de tous ces bras de fer qui s’agitaient autour d’eux. Ils regardaient comme des enfans étonnés ces machines élégantes ; ils tournaient autour avec une sorte de précaution respectueuse ; ils n’osaient approcher de peur de les gêner ; ils leur auraient volontiers tiré le chapeau par politesse, car c’était pour eux plus que du fer et de l’acier : c’étaient des espèces d’ouvriers mystérieux et intelligens, tels qu’ils n’en avaient encore jamais rencontré dans la vie. Mais cette naïve ignorance durait peu ; le nouveau venu se formait vite au feu de la grande forge. Un mois après leur arrivée, on voyait tous ces campagnards niais et peureux se jouer au milieu des étincelles et de la fumée, comme de vrais cyclopes habitués à vivre dans les flammes ; se lancer l’un à l’autre, fringans et rieurs, les gueuses de fer rougi, et jeter à pleine poitrine les cantiques ou les guerz bretons, au milieu des monotones battemens du piston et des sourds rugissemens de la chaudière bouillante.

Malheureusement, ces essais qui avaient constaté si brillamment l’aptitude des Bretons pour les arts mécaniques, furent ruineux pour celui qui les faisait. Cette étude expérimentale, faite par le maître et les ouvriers, avait été entreprise sur une échelle trop vaste pour les ressources matérielles de M. Frimot, et il fut forcé d’arrêter cet élan industriel qu’une fortune particulière ne pouvait entretenir.

Mais il avait pu apprécier l’ouvrier breton, et il savait désormais ce que l’on en pouvait attendre. Il eut encore, avant de quitter la Bretagne, une nouvelle occasion de s’en assurer. Ce fut dans la construction d’une digue près de Roscoff, digue destinée à enlever un coin de grève à la mer. C’était encore un travail entièrement neuf à exécuter. Les ouvriers ne s’en inquiétèrent point. Une population entière accourut pour prendre part à cette œuvre de géans, et ce fut pour M.  Fri-