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REVUE MUSICALE.

tion de Meyerbeer ; car Mlle Falcon avait, elle aussi, choisi ce rôle pour ses débuts ; c’est sous la tente de Robert qu’on vit poindre dans sa verdeur ce talent précoce et généreux qui devait si tôt mûrir au soleil de Mozart. Mlle Flécheux a compris le rôle d’Alice à peu près comme Mlle Dorus ; elle dit les premières scènes du troisième acte avec une simplicité charmante ; quant aux situations dramatiques, elle en fait bon marché en les abandonnant. Elle n’a pas voulu imiter, ne se sentant pas la force de créer à son tour. Cette modestie est d’un bon augure pour l’avenir. Le public lui en a su gré. La voix de Mlle Maria Flécheux est un soprano aigu un peu voilé dans le bas et qui tend à monter. Si cette voix gagne avec le temps une vibration plus éclatante, un timbre plus sonore, elle deviendra sans reproche, car elle est déjà merveilleusement agile. Mlle Flécheux n’est nullement encore une cantatrice, et pourtant elle fait des gammes chromatiques d’une netteté singulière. Avec un don si précieux de la nature et des études persévérantes, Mlle Flécheux doit prendre un jour une place distinguée à l’Opéra. Mais qu’elle ne se laisse pas étourdir par les folles louanges dont on l’entoure ; qu’elle soit assez modeste pour ne pas se croire du génie, et ne pas prendre au sérieux les paroles de ceux qui lui disent que Mme Damoreau est dépassée, car même dans ce siècle où le génie est une chose si vulgaire, que chaque journaliste en a pour lui et ses amis, on n’a pas du génie pour avoir joué deux fois Robert le Diable comme elle l’a fait ; et quoi qu’on dise, Mme Damoreau occupe parmi les cantatrices un rang inaliénable. Que Mlle Flécheux se console, elle a de plus que Mme Damoreau ce que la nature seule donne, une voix jeune et fraîche, une voix de dix-sept ans ; le reste, il ne dépend que d’elle de l’acquérir à force d’étude et de persévérance.

Le Siége de Corinthe va bientôt paraître réduit en trois actes, selon la coutume usitée à l’Opéra. Moïse et Guillaume Tell ont été taillés en pièces ; le Siége de Corinthe subit le même sort. Quand un chef-d’œuvre de Rossini est sorti une fois du répertoire de l’Opéra, il n’y peut plus rentrer sans laisser sur le seuil quelque chose de sa tête ou de ses pieds ; il semble que le colosse a grandi et que les murs se sont affaissés. Si l’on vous disait que Rossini