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gance, de la grandeur de Napoléon ; je m’exaltai, je vantai son génie universel, qui devinait les lois en faisant les codes, et l’avenir en faisant des évènemens. J’appuyai avec insolence sur la supériorité de ce génie, comparé au médiocre talent des hommes de tactique et de manœuvre. J’espérais être contredit ; mais, contre mon attente, je trouvai dans les officiers anglais plus d’admiration encore pour l’empereur que je ne pouvais en montrer pour leur implacable ennemi. Lord Collingwood surtout, sortant de son silence triste et de ses méditations continuelles, le loua dans des termes si justes, si énergiques, si précis, faisant considérer à la fois, à ses officiers, la grandeur des prévisions de l’Empereur, la promptitude magique de son exécution, la fermeté de ses ordres, la certitude de son jugement, sa pénétration dans les négociations, sa justesse d’idées dans les conseils, sa grandeur dans les batailles, son calme dans les dangers, sa constance dans la préparation des entreprises, sa fierté dans l’attitude donnée à la France, et enfin toutes les qualités qui composent le grand homme, que je me demandai ce que l’histoire pourrait jamais ajouter à cet éloge, et je fus attéré parce que j’avais cherché à m’irriter contre lui, espérant lui entendre proférer des accusations injustes.

J’aurais voulu méchamment le mettre dans son tort, et qu’un mot inconsidéré ou insultant de sa part servît de justification à la déloyauté que je méditais. Mais il semblait qu’il prît à tâche, au contraire, de redoubler de bontés, et son empressement, faisant supposer aux autres que j’avais quelque nouveau chagrin dont il était juste de me consoler, ils furent tous, pour moi, plus attentifs et plus indulgens que jamais. J’en pris de l’humeur et je quittai la table.

L’amiral me conduisit encore à Gibraltar, le lendemain, pour mon malheur. Nous devions y passer huit jours. — Le soir de l’évasion arriva. — Ma tête bouillonnait et je délibérais toujours. Je me donnais de spécieux motifs et je m’étourdissais sur leur fausseté ; il se livrait en moi un combat violent ; mais tandis que mon ame se tordait et se roulait sur elle-même, mon corps, comme s’il eût été arbitre entre l’ambition et l’honneur, suivait à lui tout seul le chemin de la fuite. J’avais fait, sans m’en