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ter ses tombeaux en Asie, pour ne pas les laisser aux mains des infidèles. Voyez, en effet, comme la civilisation marche en Turquie, depuis dix ans ! Le sultan, vainqueur des janissaires, n’a-t-il pas discipliné les bataillons qui combattirent aux Balkans contre Diebitch, à Koniah contre Ibrahim ? Le Grand-Seigneur rend des visites aux dames, et maintenant il y a des rout chez les membres du divan ; les fonctionnaires turcs portent une redingote serrée et une casquette de très bon goût, comme chacun sait ; il appert, d’ailleurs, d’un fait récent qu’aux bureaux du reis-effendi on sait, aussi bien qu’à la rue des Capucines, la différence existant entre un ambassadeur et un ministre plénipotentiaire : conquêtes importantes qui rendent sans doute plus difficile l’accomplissement des projets de Catherine ii, et dont on doit essayer de profiter pour maintenir un état indispensable à la balance européenne !

Les faciles victoires d’Ibrahim contre un gouvernement décrépit avaient suggéré à plusieurs la pensée de faire de cet esclave la tige d’une nouvelle lignée régnant dans Stamboul la sainte ; et le trésor de haines amassées dans le cœur des vieux croyans par une série de mesures sacriléges, offrait, en effet, au fils de Méhémet des chances pour tout oser, mais sans lui en donner pour consolider son œuvre. On n’a pas jusqu’à présent découvert, en politique plus qu’en médecine, le moyen de rajeunir les corps usés de vieillesse, en y injectant un sang nouveau. D’ailleurs, outre que le pacha d’Égypte ne partage peut-être pas les vues audacieuses que lui prêtent les beaux-esprits de notre Europe, lui qui, si l’on en croit un écrivain anglais, aspirait plus, en 1833, au titre de séraskier du sultan, qu’à le remplacer sur le trône, voilà que sa puissance s’ébranle, voici que la Syrie s’insurge, et que les grandes destinées prédites à une race plutôt conquérante que fondatrice commencent à paraître problématiques.

Méhémet-Ali est un grand homme sans doute, mais il ne lui est pas donné de créer un peuple ; car un peuple vit par une pensée intime et plastique, et ces hordes disciplinées à coups de bâton n’auront jamais une individualité assez forte pour résister à l’absorption étrangère. Qu’il élève des manufactures et des instituts scientifiques, qu’il creuse des ports et des canaux, qu’il coupe l’isthme de Suez, le satrape ne travaille pas pour sa race. L’Europe chrétienne s’approche qui se portera l’héritière de tout cela. Elle a dans sa foi, et dans le génie progressif et libre nourri par ses croyances, le germe de cette haute civilisation intellectuelle, la seule qui ait droit et pouvoir de faire reculer la barbarie. Les Arabes de l’Espagne, supérieurs en élégance et en nombre aux farouches guerriers qui les vainquirent, reculèrent, malgré cette supé-