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LE CAPITAINE RENAUD.

gardent éternellement les côtes de l’Angleterre dans les flots et les brouillards.

J’avais appris, à son école, tout ce que les exils de la guerre peuvent faire souffrir et tout ce que le sentiment du devoir peut dompter dans une grande ame, et, tout plein de cet exemple, devenu plus grave par mes souffrances et le spectacle des siennes, je vins à Paris me présenter, avec l’expérience de ma prison, au maître tout puissant que j’avais quitté.

CHAPITRE vi.
Réception.

Ici le capitaine Renaud s’étant interrompu, je regardai l’heure à ma montre. Il était deux heures après minuit. Il se leva et nous marchâmes au milieu des grenadiers. Un silence profond régnait partout. Beaucoup s’étaient assis sur leurs sacs et s’y étaient endormis. Nous nous plaçâmes à quelques pas de là, sur le parapet, et il continua son récit après avoir allumé son cigare à la pipe d’un soldat. Il n’y avait pas une maison qui donnât signe de vie.

Dès que je fus arrivé à Paris, je voulus voir l’Empereur. J’en eus occasion au spectacle de la cour où me conduisit un de mes anciens camarades, devenu colonel. C’était là-bas, aux Tuileries. Nous nous plaçâmes dans une petite loge en face de la loge impériale, et nous attendîmes. Il n’y avait encore dans la salle que les rois. Chacun d’eux, assis dans une loge aux premières, avait autour de lui sa cour, et devant lui, aux galeries, ses aides-de-camp et ses généraux familiers. Les rois de Westphalie, de Saxe et de Wurtemberg, tous les princes de la confédération du Rhin, étaient placés au même rang. Près d’eux, debout, parlant haut et vite, Murat, roi de Naples, secouant ses cheveux noirs bouclés, comme une crinière, et jetant des regards de lion. Plus haut, le roi d’Espagne, et seul, à l’écart, l’ambassadeur de Russie, le prince Kourakim, chargé d’épaulettes de diamans. Au parterre,