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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/551

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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

riosité affamée, dans sa sagacité pénétrante, dans sa versatilité perpétuelle et son appropriation à chaque chose ; ce génie, selon nous, domine même son rôle philosophique et cette mission morale qu’il a remplie ; il peut servir du moins à en expliquer le plus naturellement les phases et les incertitudes.

Bayle, né au Carlat, dans le comté de Foix, en 1647, d’une famille patriarcale de ministres calvinistes, fut mis de bonne heure aux études, au latin, au grec, d’abord dans la maison paternelle, puis à l’académie de Puy-Laurens. À dix-neuf ans, il fit une maladie causée par ses lectures excessives ; il lisait tout ce qui lui tombait sous la main, mais relisait Plutarque et Montaigne de préférence. Étant passé à vingt-deux ans à l’académie de Toulouse, il se laissa gagner à quelques livres de controverse et à des raisonnemens qui lui parurent convaincans, et ayant abjuré sa religion, il écrivit à son frère aîné une lettre très ardente de prosélytisme pour l’engager à venir à Toulouse se faire instruire de la vérité. Quelques mois plus tard, ce zèle du jeune Bayle s’était refroidi ; les doutes le travaillaient, et, dix-sept mois après sa conversion, sortant secrètement de Toulouse, il revint à sa famille et au calvinisme. Mais il y revint bien autre qu’il n’y était d’abord : « Un savant homme, a-t-il dit quelque part, qui essuie la censure d’un ennemi redoutable, ne tire jamais si bien son épingle du jeu qu’il n’y laisse quelque chose. » Bayle laissa dans cette première école qu’il fit tout son feu de croyance, tout son aiguillon de prosélytisme : à partir de ce moment, il ne lui en resta plus. Chacun apporte ainsi dans sa jeunesse sa dose de foi, d’amour, de passion, d’enthousiasme : chez quelques-uns, cette dose se renouvelle sans cesse ; je ne parle que de la portion de foi, d’amour, d’enthousiasme, qui ne réside pas essentiellement dans l’ame, dans la pensée, et qui a son auxiliaire dans l’humeur et dans le sang ; chez quelques-uns donc cette dose de chaleur de sang résiste au premier échec, au premier coup de tête, et se perpétue jusqu’à un âge plus ou moins avancé. Quand cela va trop loin et dure obstinément, c’est presque une infirmité de l’esprit sous l’apparence de la force, c’est une véritable incapacité de mûrir. Il y a des natures poétiques ou philosophiques qui restent jusqu’au bout, et, à travers leurs diverses transformations,