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HISTORIENS LITTÉRAIRES DE LA FRANCE.

ne pas trop se fier aux lettres d’un auteur comme à de bons témoins de ses pensées, plusieurs de celles où il parle de la perte de sa place respirent un ton de modération qui ne semble pas tenir seulement à une humeur calme, à une philosophie modeste, mais bien à une soumission mieux fondée et à un véritable esprit de christianisme. En d’autres endroits voisins des précédens, nous le savons, l’expression est toute philosophique. Mais avec Bayle, pour rester dans le vrai, il ne convient pas de presser les choses ; il faut laisser coexister à son heure et à son lieu ce qui pour lui ne s’entrechoquait pas. Nous aimons donc à trouver que le mot de bon Dieu revient souvent dans ses lettres d’un accent de naïveté sincère. Après cela, la religion inquiète médiocrement Bayle ; il ne se retranche par scrupule aucun raisonnement qui lui semble juste, aucune lecture qui lui paraît divertissante. Dans une lettre, tout à côté d’une belle phrase sincère sur la Providence, il mentionnera l’Hexameron rustique de La Mothe le Vayer avec ses obscénités : « Sed omnia sana sanis, » ajoute-t-il tout aussitôt, et le voilà satisfait. Si, par impossible, quelque bel-esprit janséniste avait entretenu une correspondance littéraire, y rencontrerait-on jamais des lignes comme celles qui suivent ? « M. Hermant, docteur de Sorbonne, qui a composé en français les vies de quatre pères de l’Église grecque, vient de publier celle de saint Ambroise, l’un des pères de l’Église latine. M. Ferrier, bon poète français, vient de faire imprimer les Préceptes galans : c’est une espèce de traité semblable à l’Art d’aimer d’Ovide. » Et quelques lignes plus bas : « On fait beaucoup de cas de la Princesse de Clèves. Vous avez ouï parler sans doute de deux décrets du pape, etc. » Plus ou moins de religion qu’il n’en avait aurait altéré la candeur et l’expansion critique de Bayle.

Si nous osions nous égayer tant soit peu à quelqu’un de ces badinages chez lui si fréquens, nous pourrions soutenir que la faculté critique de Bayle a été merveilleusement servie par son manque de désir amoureux et de passion galante. Il est fâcheux sans doute qu’il se soit laissé aller à quelque licence de propos et de citations. L’obscénité de Bayle, on l’a dit avec raison, est celle des savans qui s’émancipent sans bien savoir, et ne gardent pas de nuances. Certains dévots n’en gardent pas non plus dans l’ex-