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lots ; puis un jour vint où l’examen attentif de la situation de l’Europe, où un calcul mieux raisonné des intérêts de l’Angleterre et de la France, conseillèrent aux deux gouvernemens de la tendresse pour la Grèce au lieu de la froide immobilité qu’on avait gardée, de l’enthousiasme pour les souvenirs classiques de cette terre, dont on voyait la désolation avec tant d’indifférence et de dégoût. Que de nobles et généreuses passions éclatèrent alors ! avec quelle rapidité la France et l’Angleterre, entraînant, malgré elle, la Russie, volèrent au secours de la Grèce ! Peu de jours suffirent pour la délivrer et la replacer au rang des nations, où elle n’eût jamais remonté si deux diplomates, fort indifférens aux souffrances des Grecs et à l’éclat de leur antiquité, n’eussent jugé qu’il était temps de combler une lacune qu’ils avaient trouvée sur la carte. La Pologne aura son tour ; quand l’intérêt commandera, et il commande déjà, quoique faiblement, la Pologne ressuscitera de ses ruines, bien étonnée à la vue des défenseurs qui la protégeront ; telle main qui a contribué à la plonger dans la tombe, écrira ou combattra pour sa régénération ; tel nom qui a été flétri pour l’avoir vue périr sans lui donner un regret, est peut-être destiné à être béni par les peuples, à être honoré et glorieux à cause de l’appui courageux, éloquent ou héroïque, qu’il prêtera à la Pologne : car rien n’est courageux, rien n’est éloquent, rien n’est héroïque comme l’intérêt. L’histoire de ce temps ne le prouve que trop.

Ne désespérons donc pas de la Pologne ; mais il y a mieux à faire pour la Pologne que de s’indigner des discours de l’empereur Nicolas. L’empereur s’est constitué l’ennemi de la Pologne, qu’il a combattue après tout, et où l’un de ses frères a péri. C’est un rôle comme un autre. L’empereur déclare à la municipalité de Varsovie qu’au premier mouvement de rébellion, au premier geste, il foudroiera la ville. Assurément, c’est un des droits que l’empereur Nicolas a reçus du dieu des rois, quand il a hérité de la couronne impériale et royale. Aimeriez-vous mieux que l’empereur Nicolas fît foudroyer la ville de Varsovie, sans prévenir ses habitans ? Ce discours, c’est tout simplement la sommation préalable, voulue en France et en Angleterre par la loi ; il est vrai que quelques-uns de ceux qui blâment si fort ce discours de l’empereur, se sont souvent épargné la peine de faire cette sommation, dont ne se croit pas dispensé l’autocrate lui-même. Mais l’empereur n’est plus le roi de la Pologne, il est le maître de cette nouvelle province de son empire, que vous lui avez donnée, tardifs défenseurs de la Pologne, quand vous n’avez pas protesté contre les actes qui ont suivi sa chute ! Des menaces aussi énergiques que les vôtres auraient peut-être sauvé alors la nationalité de la Pologne ; aujourd’hui, les menaces ni les gémissemens ne rappelleraient pas du fond de la Sibérie un seul de ces enfans de la Pologne, que la France avait adoptés sous son drapeau, et qui ont combattu deux ans, sans voir venir, comme ils le disaient si douloureusement, un seul courrier de la France !

Mais en se déclarant ainsi maître chez lui, en traitant avec mépris les souverains qui n’ont pas ce pouvoir absolu dans leurs états, l’empereur Nicolas nous a donné des droits dont l’usage bien entendu aurait