Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/648

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
642
REVUE DES DEUX MONDES.

mie sur ses pieds ; une porte communiquait à une chambre voisine, mais cette porte était fermée, et dans son embrasure, on avait placé quelques tablettes où se trouvaient un très petit nombre de livres, et une mauvaise gravure encadrée, qui représentait la tête de Corinne, d’après le tableau de Gérard. Je décris fidèlement, car l’aspect de cette chambre ne s’effacera jamais de mes yeux.

La chambre voisine était à peu près semblable. Dans ces deux chambres où je fus reçu avec une sorte de bienveillance qui s’adressait à la fois à ma profession d’écrivain et à mon extrême jeunesse, vivaient deux amis qui n’ont été séparés depuis, comme tant d’amis, il faut le dire à leur louange, ni par un sort divers, ni par les révolutions où ils ont figuré, ni par les succès de l’un ou de l’autre, et qui, étroitement serrés alors, afin d’être plus forts contre la mauvaise fortune, ont continué de marcher fidèlement ensemble dans la prospérité.

Ils étaient nés tous deux dans la même ville, sous le doux ciel du midi. Leurs parens, et c’est encore une louange que je leur adresse, leurs parens appartenaient à la classe la plus pauvre et la plus inférieure de la société. Sans doute les habitans de la belle cité d’Aix, en Provence, se souviennent d’avoir aperçu souvent, au seuil d’une modeste maison, les têtes blonde et brune de deux enfans qu’on vit bientôt étudier ensemble, grandir ensemble, et remporter à la fois des prix certainement bien gagnés, car ni le rang ni le nom ne les arrachaient pour eux à la déférence et à la faveur. Les deux écoliers étudièrent le droit, se firent recevoir avocats le même jour, concoururent à la fois pour le prix d’éloquence qu’obtint l’un d’eux, sans que l’autre en ressentît la moindre jalousie ; et à peu près orphelins tous les deux, privés du moins de l’exemple, des conseils salutaires, de l’appui providentiel que d’autres reçoivent de leurs parens, ils saluèrent pour la dernière fois la vieille et paisible ville d’Aix, ainsi que sa voisine, la ville d’Orient, l’opulente Marseille, et, fuyant la pauvreté natale, vinrent résolument à Paris chercher la fortune, qui ne les a pas fait attendre long-temps.

C’était au temps où la restauration était dans tout son éclat et dans toute sa force. De son côté, le parti libéral avait une puis-