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m’envoyait chercher. Il n’y avait pas de temps à perdre. Je partis sur-le-champ avec le digne soldat qui m’avait raconté ces détails les yeux humides et la voix tremblante, mais sans murmure, sans injure, sans accusation, répétant seulement : C’est un grand malheur pour nous !

Le blessé avait été porté chez une petite marchande qui était veuve et qui vivait seule dans une petite boutique, dans une rue écartée du village, avec des enfans en bas âge. Elle n’avait pas eu la crainte, un seul moment, de se compromettre, et personne n’avait eu l’idée de l’inquiéter à ce sujet. Les voisins, au contraire, s’étaient empressés de l’aider dans les soins qu’elle prenait du malade. Les officiers de santé qu’on avait appelés ne l’ayant pas jugé transportable après l’opération, elle l’avait gardé, et souvent elle avait passé la nuit près de son lit. Lorsque j’entrai, elle vint au-devant de moi, avec un air de reconnaissance et de timidité qui me firent peine. Je sentis combien d’embarras à la fois elle avait cachés par bonté naturelle et par bienfaisance. Elle était fort pâle, et ses yeux étaient rougis et fatigués. Elle allait et venait vers une arrière-boutique fort étroite que j’apercevais de la porte, et je vis, à sa précipitation, qu’elle arrangeait la petite chambre du blessé, et mettait une sorte de coquetterie à ce qu’un étranger la trouvât convenable. — Aussi, j’eus soin de ne pas marcher vite, et je lui donnai tout le temps dont elle eut besoin. — Voyez, monsieur, il a bien souffert, allez ! me dit-elle en ouvrant la porte.

Le capitaine Renaud était assis sur un petit lit à rideaux de serge, placé dans un coin de la chambre, et plusieurs traversins soutenaient son corps. Il était d’une maigreur de squelette, et les pommettes des joues d’un rouge ardent ; la blessure de son front était noire. Je vis qu’il n’irait pas loin, et son sourire me le dit aussi. Il me tendit la main et me fit signe de m’asseoir. Il y avait à sa droite un jeune garçon qui tenait un verre d’eau gommée et le remuait avec la cuillère. Il se leva et m’apporta sa chaise. Renaud le prit, de son lit, par le bout de l’oreille et me dit doucement, d’une voix affaiblie :

— Tenez, mon cher, je vous présente mon vainqueur.