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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

férence, l’indigence, commanda le partage des richesses, appela les pauvres à lui, voulut fonder sa doctrine sur la vertu, et mourut accablé d’outrages. Mais M. Garat était un vieillard qui avait joué un rôle dans cette grande tragédie de la convention, près de Robespierre qu’il avait souvent combattu ; on attribua cet écrit à une certaine générosité d’adversaire, et l’on s’accorda à n’y voir qu’un souvenir infidèle d’une époque que l’âge lui avait fait oublier. Il paraît que les mémoires de M. Suard furent autrement jugés par M. Thiers et par M. Mignet. J’ignore si ce fut le désir de soutenir une thèse nouvelle, ou si ce fut la conviction qui produisit en eux ces deux livres ; toujours est-il que M. Thiers et son ami s’appliquèrent, dès ce jour, hautement, et avec plus d’enthousiasme que vous n’en trouverez dans leurs ouvrages, à réhabiliter la mémoire de Robespierre. C’est le grain qu’ils ont semé, qui a levé si abondamment sur le sol des clubs et de ces sociétés populaires que M. Thiers a violemment attaquées dans ses discours, depuis la révolution de juillet ! Un autre fait que je livre également à vos méditations, monsieur, c’est que M. Thiers, devenu ministre d’une monarchie qui se fait un devoir pieux de persécuter les partisans du comité de salut public, a trouvé bon de les combattre, dans la dernière session, par un discours de Robespierre lui-même. Je vous engage à relire ou à lire, si vous ne l’avez lu, le discours que Robespierre prononça à la convention, le 7 mai 1794, discours longuement et soigneusement travaillé comme celui où M. Thiers invoquait la Providence et l’appelait au secours du pays ; vous serez frappé de la ressemblance de ces deux morceaux. Tous deux tendent à prouver, et par les mêmes argumens, qu’on peut protéger la religion sans favoriser les prêtres, et que la liberté véritable n’est compatible qu’avec la morale religieuse ; mais pour être aussi juste envers Robespierre, que l’a été M. Thiers, je dois dire que le discours de 1794 l’emporte de beaucoup en raison et en éloquence véritable, sur le discours de 1835.

Tandis que M. Thiers portait aux nues le désintéressement et la pauvreté de Robespierre, la fortune commençait à se rapprocher de lui. M. Thiers passait sa vie dans les deux plus opulentes maisons de Paris, chez le baron Louis et chez M. Laffitte. La fré-