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Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/701

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HOMMES D’ÉTAT DE LA FRANCE.

M. de Talleyrand différait d’avis avec M. Thiers, au sujet de l’Espagne. M. de Talleyrand voulait qu’on ne s’occupât point de l’Espagne, qui, disait-il, serait soumise à la France pendant cinquante ans, à cause de son peu de civilisation et de ses guerres civiles. D’accord en cela avec M. de Talleyrand, M. Guizot se montrait tout-à-fait opposé à l’intervention en Espagne. M. Thiers, au contraire, voulait faire marcher une armée au-delà des Pyrénées, et il demandait cette expédition avec la même ardeur qu’en 1830, quand il demandait la guerre sur le Rhin. Cependant M. de Talleyrand ne frayait alors qu’avec M. Thiers. Il avait le dessein de former une alliance contre la Russie, d’accord avec M. de Metternich, alliance dont le premier article était de s’opposer à l’établissement des Russes à Constantinople ; car alors la navigation du Danube échapperait à l’Autriche. M. Guizot et M. de Broglie voulaient faire entrer l’Espagne dans cette coalition, et M. de Talleyrand, qui, je ne sais pourquoi, ne voulait pas entendre parler de l’Espagne, se jeta du côté de M. Thiers.

Il entre toujours deux vues dans les projets de M. de Talleyrand : l’une générale, et l’autre particulière. Il songeait à conclure à la fois l’alliance de la France, de l’Autriche et de l’Angleterre, et le mariage de la fille de Mme la duchesse de Dino avec un magnat hongrois, le prince Esterhazy. Ce fut à cette époque qu’on annonça la nomination de M. de Talleyrand à l’ambassade de Vienne. À cette époque aussi, l’idée vint à M. Thiers, soutenu sans doute par M. de Talleyrand, de se faire nommer ministre des affaires étrangères ; qui sait ? peut-être président du conseil ! À cet effet, M. Thiers entra complètement dans les vues de M. de Talleyrand, et le projet d’alliance faisait déjà tant de progrès, que, sur l’inspiration du vieux prince, le comte Appony se rendit près du roi, et lui déclara que S. M. l’empereur d’Autriche, ainsi que M. de Metternich, verraient avec plaisir la nomination de M. Thiers au ministère des affaires étrangères. Tout allait bien jusque-là, mais cette démarche perdit tout. D’un mot, M. Thiers comprit que la recommandation des puissances étrangères, en sa faveur, paraissait suspecte, et il se hâta de renoncer à des prétentions qui commençaient à devenir publiques.

Il revint donc à M. Guizot, et consentit à reconnaître M. de Bro-