Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/719

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
713
L’ESPAGNE DEPUIS FERDINAND VII.

Mais ce n’était pas la première fois qu’un prince espagnol aliénait l’état par testament ou même de son vivant ; sans parler de l’usage où étaient les anciens rois d’Espagne de diviser leurs royaumes entre leurs enfans, usage qui constitue une véritable aliénation, et qui ensanglanta la Péninsule pendant tout le moyen-âge, nous voyons déjà au xiie siècle un roi d’Aragon, Alfonse Ier, léguer en mourant ses états au Saint-Sépulcre de Jérusalem. Les Aragonais ne souffrirent pas, il est vrai, cet outrage, mais ils n’en furent pas moins obligés de transiger avec les chevaliers du Temple, et durent leur abandonner plusieurs places. Dans le système de la légitimité absolue et souveraine, Alphonse Ier était aussi bien dans son droit en donnant son royaume aux Templiers, que Charles ii en le donnant aux Bourbons ; tout aussi bien que Louis xviii mourant sans héritier aurait pu léguer la France à l’empereur de Russie ou au duc de Modène.

Voilà la conséquence directe et logique du dogme de la légitimité, dogme impie autant qu’absurde qui détruit la notion de patrie, ruine l’état dans ses racines, institue en droit l’anarchie et confère à un homme appelé prince des pouvoirs si exorbitans, qu’il faut lui supposer, afin qu’il les puisse remplir, des illuminations surnaturelles, des communications directes avec Dieu. C’est bien pour cela que ce droit anti-social a été nommé divin. Pressés de déduction en déduction, les logiciens du système ont dû, pour s’en tirer, faire intervenir la divinité, comme ces dramaturges de l’antiquité qui, embarrassés de leurs dénouemens, faisaient brusquement apparaître sur la scène Minerve ou Jupiter.

Réduite à ces termes, et ce sont les véritables, la légitimité est donc une théocratie déguisée. L’identité des deux systèmes est complète. Cela est vrai surtout pour l’Espagne où Dieu et le roi sont salués du titre de majesté ; on dit les deux majestés, las ambas magestades. Voilà pourquoi l’humanité civilisée, en repoussant le dogme sacrilége de la légitimité, l’a proscrit au nom du progrès

    consulté les cortès générales. Un testament, dit-il, ne peut faire règle dans ce cas ; de ce qu’on peut, par testament, nommer les tuteurs du royaume pendant les minorités, il ne s’ensuit nullement qu’on puisse disposer de la couronne au mépris des droits de la nation et de ses cortès générales. » (Maladie chronique et dangereuse de l’Espagne et des Indes.