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L’ESPAGNE DEPUIS FERDINAND VII.

étaient là prêts à s’entre-déchirer, s’arrachant, pour ainsi dire, lambeau par lambeau, la dépouille de ce moribond que la mort ne voulait pas achever. On se colleta, on se gourma, on tira le couteau ; accourant au bruit du fond de l’Andalousie, la robuste infante Louise-Charlotte, sœur de la reine, — les deux sœurs ne se haïssaient pas encore, — tomba comme un ouragan au milieu de la mêlée, et poussant droit à Calomarde, elle le souffleta de sa main royale. Les mœurs de la cour d’Espagne s’étalent là dans toute leur nudité, et on ne croirait pas à ce noble tableau de famille, s’il n’avait été pris sur nature. Nous le tenons d’un homme qui fit son rôle et un rôle important dans la pièce. Et quand on songe que tout cela se passait dans le palais d’un petit-fils de Louis xiv !… mais il faut voir l’acteur, il faut l’entendre pour avoir une idée juste de la majesté des rois du monde. Tout cela est loin sans doute de la dignité de l’histoire, mais à qui la faute ? à qui retourne le scandale de ces honteux débats ? D’ailleurs nous n’avons pas la moindre prétention d’historien, nous nous bornons à relater en simple chroniqueur les faits propres à mettre en saillie la civilisation péninsulaire au xixe siècle. L’historien viendra plus tard qui fera son choix.

Les évènemens de la Grange eurent le résultat qu’ils devaient avoir. Calomarde succomba. Bouc émissaire, il fut exilé. M. Zéa-Bermudez, alors ambassadeur à Londres, fut appelé au ministère le 1er  octobre. La victoire de la reine était éclatante ; elle fut complète. Le 6, parut un décret royal qui lui abandonnait la direction des affaires, pendant tout le temps que durerait la convalescence de Ferdinand. C’était une régence anticipée.

Le premier acte de la régente justifiait les espérances que le parti libéral avait fondées sur elle, dès 1830. Le 15, fut publiée une amnistie politique, non pas absolue, puisqu’elle fut suivie de trois autres, mais capitale en ce sens qu’elle posait nettement les termes et déchirait le pacte impie de 1823. La monarchie avait mis le pied dans la révolution. Il n’y a encore qu’un pas de fait, et que nous sommes loin déjà des commissions militaires de l’année précédente et de l’affreux carnage de Malaga !

Les réformes se succédèrent rapidement sinon en fait, le principe du moins en fut proclamé, et si elles ne reçurent pas