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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.

devint naturellement le premier objet de nos entretiens avec le docteur Young. Nous étions étonnés des nombreuses restrictions qu’il apportait à nos éloges, lorsque enfin il nous déclara que l’expérience dont nous faisions tant de cas, était consignée, depuis 1807, dans son Traité de Philosophie naturelle. Cette assertion ne nous semblait pas fondée. Elle rendit la discussion longue et minutieuse. Mme Young y assistait sans avoir l’air d’y prendre aucune part ; mais, comme nous savions que la crainte, vraiment puérile, de passer pour des femmes savantes, que la crainte d’être désignées par le ridicule sobriquet de bas bleus, rend les dames anglaises fort réservées en présence des étrangers, notre manque de savoir-vivre ne nous frappa qu’au moment où Mme Young quitta brusquement la place. Nous commencions à nous confondre en excuses auprès de son mari, lorsque nous la vîmes rentrer, portant sous le bras un énorme in-4o. C’était le premier volume du Traité de Philosophie naturelle. Elle le posa sur la table, l’ouvrit, sans mot dire, à la page 787, et nous montra du doigt une figure où la marche curviligne des bandes diffractées, sur laquelle roulait la discussion, se trouve établie théoriquement.

J’espère qu’on me pardonnera ces petits détails. Trop d’exemples n’ont-ils pas déjà habitué le public à considérer l’abandon, l’injustice, la persécution, la misère, comme le salaire naturel de ceux qui consacrent laborieusement leurs veilles au développement de l’esprit humain ! N’oublions donc pas de signaler les exceptions quand il s’en présente. Si nous voulons que la jeunesse se livre avec ardeur aux travaux intellectuels, montrons-lui que de grandes découvertes peuvent se concilier avec un peu de tranquillité et de bonheur. Arrachons même, s’il se peut, de l’histoire des sciences, tant de feuillets qui en ternissent l’éclat. Essayons de nous persuader que, dans les cachots des inquisiteurs, une voix amie faisait entendre à Galilée quelques-unes de ces douces paroles que la postérité réservait à sa mémoire ; que les épaisses murailles de la Bastille n’empêchèrent pas l’opinion publique d’apprendre à Fréret qu’un jour l’ouvrage qui l’avait conduit sous les verroux, serait un de ses titres de gloire ; qu’avant d’aller mourir à l’hôpital, Borelli trouva quelquefois dans la ville de Rome un abri contre les intempéries de l’air, un peu de paille pour reposer sa tête ; que Kepler, enfin, que le grand Képler n’éprouva jamais les angoisses de la faim !


Arago.