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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/147

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SIMON.

fille. Le digne homme était parti la veille. Bonne monta en croupe, suivant l’usage, derrière son domestique. On attacha le mulet chargé de vivres à la queue du cheval que montaient la demoiselle et son écuyer en blouse et en guêtres de toile. Dans cet équipage, la fille de l’avoué descendit au petit trot le chemin tournant qui se plonge avec rapidité dans la vallée ; car quoique Fougères soit situé dans un joli vallon bien creusé en entonnoir, le sol de ce vallon est encore beaucoup plus élevé que celui de la vallée principale où l’on découvre au loin les clochers du chef-lieu, et notre hameau est caché dans ces collines rocailleuses qu’on décore du nom de montagnes dans le pays, comme un nid de milan dans le cratère éteint d’un ancien volcan.

Le soleil, encore rouge, commençait à monter sur l’horizon de bruyères qui se découpe en lignes arrondies vers tous les points de ce paysage, lorsque Simon, en débusquant d’un sentier rapide, caché dans les genêts épineux, se trouva face à face sur la route avec sa douce voisine. Pour tout autre que lui, la rencontre de cette aimable personne eut été ce que le vol d’une colombe était jadis pour les augures. Mais Simon, toujours brusque et préoccupé, ne s’aperçut point de la vive rougeur qui colora les joues de la jeune fiile, et du mélange de plaisir et de peine qui passa dans son regard.

— Eh bien ! mademoiselle Bonne, lui dit-il, de sa voix pleine et grave, vous voilà donc entrée en fonctions ? je vous en fais mon compliment.

— Que voulez-vous dire, monsieur Simon ? répondit Mlle Parquet un peu fâchée de cette apostrophe.

— Mais n’allez-vous pas à la ville pour cette grande et solennelle cérémonie de la signature du contrat ? M. le comte, notre bon et illustre seigneur, veux-je dire, n’est-il pas arrivé chez vous hier soir, et ne daigne-t-il pas manger vos provisions en attendant qu’il ait la bonté de nous apporter ici sa botte à baiser ? ne vous voilà-t-il pas en route pour courir à sa rencontre, lui préparer son dîner et le saluer avec tout le respect d’une humble vassale ? Combien de temps allez-vous nous dérober la présence de cet astre resplendissant ? Songez à l’impatience…

— Taisez-vous, monsieur Simon, interrompit Bonne avec un peu d’humeur. Toutes ces plaisanteries-là sont fort méchantes. Croyez-vous que mon père et moi soyons les humbles serviteurs de qui que ce