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les troupeaux. Dans la partie plus sauvage qu’on appelle la montagne, et où le vallon de Fougères se trouve jeté comme une oasis, on trouve du gibier en abondance, et on recueille la digitale, cette belle plante sauvage que la mode des anévrismes a mise en faveur, et qui élève dans les lieux les plus arides ses hautes pyramides de cloches purpurines, tigrées de noir et de blanc. Là aussi, le buis sauvage et le houx aux feuilles d’émeraude tapissent les gorges où serpente la Creuse. La Creuse est une des plus charmantes rivières de France ; c’est un torrent profond et rapide, mais silencieux et calme dans sa course, encaissé, limpide, toujours couronné de verdure, et baisant le pied de ces monti ameni qu’eût aimés Métastase.

Somme toute, le pays est pauvre ; les gros propriétaires y mènent plus joyeuse vie que dans les provinces plus fertiles, comme il arrive toujours. Nulle part la bonne chère ne compte des dévots plus fervens. Mais le paysan économe, laborieux et frugal, habitué à la rudesse de son sort, et dédaignant de l’adoucir par de folles dépenses, vit de châtaignes et de sarrazin : il aime l’argent plus que le bien-être ; la chicane est son élément, le commerce tant soit peu frauduleux est son art et son théâtre. Un marchand forain Marchois est pour les provinces voisines un personnage aussi redoutable que nécessaire ; il a le talent incroyable de tromper toujours, et de ne jamais perdre son crédit. J’en ai connu plus d’un qui aurait donné des leçons de diplomatie au prince de Talleyrand. Le cultivateur du Berry est destiné, de père en fils, à être sa proie, à le maudire, à l’enrichir et à le donner au diable qui le lui renvoie chaque année plus rusé, plus prodigue de belles paroles, plus irrésistible et plus fripon.

Simon Féline était une de ces natures supérieures par leur habileté et leur puissance, qui peuvent faire beaucoup de mal ou beaucoup de bien, suivant la direction qui leur est imprimée. Dès le principe, son éducation éteignit en lui l’instinct marchois de maquignonnage, et développa d’abord le sentiment religieux. À l’âge de puberté, l’éducation philosophique vint mêler la logique à la pensée, la réflexion à l’enthousiasme ; puis la passion sillonna son ame de ces grands éclairs qui peu à peu devaient la révéler à elle-même. Mais au milieu de ces ouragans, elle conserva toujours un caractère de mysticisme, et l’amour de la contemplation domina l’esprit d’examen.