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liers et très doux. J’en ai vu un qui prenait très délicatement des mouches sur le visage d’un enfant endormi, en l’effleurant de ce bec terrible dont il déchirait les lapereaux et les couleuvres.

Simon, ayant cru blesser légèrement sa proie, la vit s’éloigner et se perdre, et continua sa promenade. Au bout de quelques heures, il repassa par la même gorge, et comme il pensait à toute autre chose, il vit tout à coup Mlle de Fougères qui descendait précipitamment la colline au-dessus de lui, en lui criant : « Arrêtez-le, arrêtez-le ! il est à vos pieds ! » Il crut qu’elle avait laissé échapper son cheval, et se pencha sur le ravin pour le chercher ; mais il n’aperçut rien, et, reportant ses regards sur Mlle de Fougères, il vit qu’elle venait à lui en courant toujours, et qu’elle avait les mains et la figure ensanglantées. Soit l’effet de la compassion qu’éprouve un noble cœur à l’aspect de la souffrance, soit la douleur de voir une si belle créature en cet état, Simon fut surpris d’une angoisse inexprimable, et pensant qu’elle venait de faire une chute de cheval, il s’élança vers elle pour la secourir ; mais son visage n’exprimait point la souffrance ; elle avait le teint animé d’un éclat que Simon ne lui avait pas encore vu, et riant d’un rire juvénile, elle lui montrait une touffe de bruyères vers laquelle elle se hâtait d’arriver en criant : — Il est là ! courez donc dessus. — Avant que Simon eut pu comprendre de quoi il s’agissait, elle s’élança sur sa proie, et jeta dessus son écharpe de soie que l’oiseau mit en pièces en se débattant. C’était le milan royal que Simon avait démonté le matin, et qu’il avait perdu. Il se hâta de faire cesser le combat furieux qu’il livrait à la jeune amazone, et dans lequel tous deux montraient un courage et un acharnement singuliers ; l’oiseau, renversé sur le dos, se défendait avec désespoir des ongles et du bec ; la jeune fille, malgré les blessures qu’elle recevait, s’obstinait à le saisir, et semblait résolue à se laisser déchirer plutôt que de renoncer à sa conquête. Simon le vainquit, lui lia les pieds avec sa cravate, et, le prenant par le bec, le présenta à Mlle de Fougères. Accablée de fatigue, elle s’était jetée sur la bruyère, et son cœur palpitait si fort, que Simon en pouvait distinguer les battemens ; elle était déjà redevenue pâle. Simon jeta le milan à ses pieds, et s’agenouillant près d’elle avec vivacité, lui demanda si elle était grièvement blessée.

— Je n’en sais rien, répondit-elle, je ne crois pas.

— Mais vous êtes couverte de sang ?