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rieur, vierge de toute corruption sociale. Elle n’avait pas cru qu’il fût possible de joindre si peu de culture à tant de fonds. Ce fut pour elle un sujet d’admiration et bientôt d’enthousiasme ; car autant Fiamma était indomptable dans ses antipathies, autant elle était passionnée dans ses amitiés. C’est en effet un magnifique spectacle, pour une ame tourmentée de l’amour du beau et contristée par la vue du laid, que celui d’une organisation assez riche pour se passer d’embellissement factice, et pour recevoir tout de Dieu et d’elle-même. En peu de jours, une affection profonde, une sympathie complète s’établit entre Jeanne et Fiamma. Mettant de côté l’une et l’autre les entraves de ces considérations sociales faites pour le vulgaire, elles se lièrent étroitement, et Jeanne passa autant d’heures dans la chambre et dans l’oratoire de Fiamma, que celle-ci en passa dans la cabane et dans le potager rustique de Jeanne. Mlle Parquet se joignit souvent à leurs entretiens, et sa jeune amie lui apprit à connaître Mme Féline ; jusque-là Bonne n’avait respecté en elle qu’une solide vertu, une admirable bonté ; elle ignorait qu’il y eût aussi à admirer une haute intelligence. Elle s’étonna d’abord de voir que Fiamma, avec toutes ses lectures et toutes ses connaissances, ne s’ennuyait pas un instant dans la compagnie d’une femme qui n’avait jamais lu que la Bible. Fiamma lui fit comprendre que la Bible était la source de toute sagesse et de toute poésie ; que l’esprit de ces pages divines s’était incarné dans la personne de Jeanne, dont toutes les paroles, comme toutes les pensées, avaient la grandeur et la simplicité des saintes écritures. L’ame de Bonne fit elle-même un progrès dans le contact de ces deux ames supérieures à la sienne, non en bonté, mais en vigueur.

ix.

Un jour, au mois de mai, vers midi, l’air étant fort chaud au dehors, et la cabane de Féline remplie d’une agréable fraîcheur, ces trois femmes étaient réunies dans une douce intimité. Jeanne, enfoncée dans son vieux fauteuil, roulait un écheveau de fil de chanvre sur une noix ; Italia, perchée sur le pivot du dévidoir, et conservant encore un peu d’irritabilité, poussait de temps en temps un petit cri aigre-doux, alongeait le bec pour saisir le fil, mais