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CHANTS DE GUERRE DE LA SUISSE.

son héritage. La majestueuse Melpomène vit s’élever devant elle l’humble tréteau des sotties et des mystères ; l’épopée héroïque, ce rêve ambitieux de tous les hommes du dernier siècle, nous parut froide et guindée à côté du roman chevaleresque de Chrétien de Troyes et de Robert Wace ; le vieil Olympe s’en alla avec ses dieux, ses foudres, ses flèches et ses carquois, pour faire place à un monde de fées, de sylphes, d’enchanteurs, qui produisaient de merveilleuses choses, et l’on vit des gens préférer à la trompette pindarique de J.-B. Rousseau ou de Lebrun le sifflet d’argent d’Oberon ou le cor d’ivoire de Robin-Hood.

La poésie populaire avait de nouveau fixé l’attention ; on se mit à l’étudier, et plus on l’étudia, plus on y découvrit de sources fécondes, et de rameaux chargés de fleurs.

« La poésie populaire, dit le bon Montaigne qui l’avait comprise avant que les critiques s’en occupassent ; la poésie populaire et purement naturelle a des naifvetez et grâces par où elle se compare à la principale beauté de la poësie parfaicte selon l’art, comme il se veoid ez villanelles de Gascoigne, et aux chansons qu’on nous rapporte des nations qui n’ont cognoissance d’aulcune science, ni mesme d’escripture[1]. »

« Les chansons populaires, dit Herder, ce sont les archives du peuple, le trésor de sa science, de sa religion, de sa théogonie, de sa cosmogonie, de la vie de ses pères, des fastes de son histoire. C’est l’expression de son cœur, l’image de son intérieur, dans la joie et les larmes, auprès du lit de la fiancée, au bord du tombeau[2]. »

Citerai-je encore en faveur de la poésie populaire ce témoignage d’un esprit fin et élégant et qui peut passer à bon droit pour classique ?

« La ballade, dit Addison, le chant vulgaire que le peuple affectionne, ne peuvent manquer de plaire à tous ceux que l’ignorance ou l’affectation ne rendent pas incapables de comprendre une œuvre de poésie, car il est évident que les tableaux de la nature qui rendent cette ballade attrayante pour les lecteurs les plus ordinaires doivent également intéresser les lecteurs d’un goût raffiné[3]. »

C’est dans la poésie populaire qu’il faut chercher non-seulement les premiers germes de la littérature, mais souvent les élémens de notre histoire. Quand un peuple en est encore aux premiers degrés de civilisation, il n’écrit pas, il chante. Comme l’a dit un critique dont le nom est bien connu des lecteurs de cette Revue[4] ;

  1. Essais de Montaigne, liv. i, chap. 54.
  2. Volkslieder. Introduction.
  3. Le Spectateur, no  70.
  4. M. J.-J. Ampère.