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place à votre foyer. C’est une bonne et naïve jeune fille qui vous dira la complainte de deuil et la complainte d’amour, comment est morte la belle Rosamonde[1], et comment la femme d’Asan-Aga quitta la tente où reposaient ses beaux enfans[2].

La poésie populaire a tout embrassé : chants de guerre, chants religieux, légendes historiques, légendes fabuleuses, la mythologie des Elfes, des géans, des nains, des koboldes, les croyances mystérieuses du christianisme, les tableaux les plus touchans du monde réel, et les rêves du monde idéal. À côté de la tradition féerique de Pierre de Stauffenberg[3], elle citera la ballade mystique de la Fille du sultan[4] ; à côté du cri de guerre des Walkeries[5], le conte plaisant de l’épreuve du manteau[6], l’histoire d’Henri-le-Lion et le Te Deum de la bataille d’Agincourt ; la légende maudite du juif errant[7] et la légende vénérée de sainte Cunégonde. Cette poésie est si flexible et si variée ! Elle s’adapte à tous les évènemens, elle reflète dans son miroir l’esprit de toutes les époques. Aujourd’hui, elle viendra édifier ses auditeurs avec le récit d’un pélerinage périlleux en terre sainte ; demain elle l’égaiera avec les chansons de l’Outlaw et les tableaux de sa vie joyeuse dans la Forêt-Verte[8]. Elle vous amusera avec ses vers à énigmes[9]. Puis si une circonstance grave se prépare, si des dissensions

  1. Ballades de Percy, tom. ii, p. 143. C’est sur la tombe de cette belle Rosamonde, maîtresse de Henri ii, qu’on écrivit ces vers :

    Hic jacet in tumba, Rosa mundi, non Rosa munda ;
    Non redolet, sed olet, quæ redolere solet.

  2. Légende morlaque, l’une des plus belles qui existent. Elle a été traduite plusieurs fois en français
  3. Die Volkslieder der Deutschen, tom. ii, p. 562.
  4. Nederlandsche Volkszangen de Lejeune, p. 147. Cette légende mystique se retrouve aussi en Allemagne, en Suède, en Danemark.
  5. Herder. Volkslieder.
  6. Ballades de Percy, tom. iii, p. 2.
  7. Ballades de Percy, tom. ii, p. 295.
  8. Green wood est le mot qui revient à tout instant dans ces ballades.
  9. C’est une chose que l’on rencontre fréquemment dans les poésies populaires du nord, que ces vers à énigmes. Ils étaient déjà en usage en Allemagne dès le xiiie siècle : on trouve plusieurs pièces de ce genre dans le Combat de la Wartburg. Il existe aussi quelques chants populaires, où un chevalier propose des énigmes à une jeune fille ; elle les résout, et il l’épouse. Il est évident que ce genre de poésie, ainsi qu’un grand nombre de légendes du moyen-âge, est fondé sur une tradition antique, la tradition du sphinx.