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SIMON.

que de subir un joug infâme, si ces bandes héroïques de contrebandiers et de pâtres, auxquelles il n’a manqué que des chefs à la fois puissans et fidèles, pouvaient se ranimer et sortir de leurs cendres éparses sous nos bruyères !… Mais quelles folies disons-nous ? parlons d’autre chose, cousin ; cela me donne la fièvre.

— Eh bien ! ayons la fièvre, et parlons-en, ma Fiamma. Songe, noble sœur, qu’à force de parler de son mal, on s’indigne contre sa faiblesse, on se lève et on marche. Sache que chaque jour, dans notre Italie, un patriote, à force de se plaindre comme nous, s’éveille et se tient prêt à nous suivre. Les paysans sont prêts, je te le dis, cousine. Les hommes des Alpes n’ont pas changé ; leur courage n’a pas plus faibli sous la verge autrichienne, que les cimes de nos glaciers n’ont fondu au soleil. Il ne leur manque que des chefs qui s’entendent. Sait-on où s’arrêterait l’avalanche qu’une poignée d’hommes pourrait détacher ! Toi et moi, et cinq ou six de nos amis qui sont résolus à me suivre et à m’obéir aveuglément, c’en serait assez pour entraîner la première masse.

— Ô Ruggier ! s’écria Fiamma en crispant la main qui tenait les rênes et en faisant cabrer son cheval, si vous disiez vrai, s’il y avait seulement une lueur d’espoir… mais, hélas ! tout cela est un cauchemar. Il vous est permis de tenter de le réaliser ; mais moi, misérable ! ce détestable accoutrement de femme, qui me comprime le cœur, me force à rester là immobile, à faire de stériles vœux, et à me déchirer les entrailles de colère !

— Tu seras parmi nous, Fiamma ! s’écria le marquis, profitant de sa fantaisie et entraîné par son amour à la partager. Tu serais, à notre tête, la Jeanne d’Arc de l’Italie, belle et sainte comme elle, comme elle brave et inspirée ! Crois-tu que cette héroïne ait eu plus de force et de cœur que toi ? Crois-tu qu’elle ait aimé sa patrie avec plus d’ardeur ? Vois ! Dieu semble t’avoir formée exprès pour un rôle extraordinaire. Dès le premier jour où je t’ai vue, j’ai pressenti ta grandeur future, j’ai vu sur ton visage le sceau d’une mission divine. Vois ta beauté, vois ton intelligence, vois ta santé robuste qui s’accommode de tous les climats, de toutes les privations ; vois ta hardiesse si contraire à l’esprit de ton sexe ; vois jusqu’à la force musculaire, jusqu’à cette petite main qui est de fer pour dompter un cheval, et qui porterait un mousquet aussi bien que Carpaccio !…