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rage, — et les rebelles en avaient fait preuve, — leur fit la conduite en masse ; il les accompagna hors de la porte de Foncarral, et les proclama les héros de la journée.

Plus tard, M. Martinez de la Rosa les punit de leur triomphe par un parjure. À peine le bataillon révolté était-il arrivé à sa destination, que, malgré la foi jurée, il fut dispersé dans d’autres corps ; l’adjudant Cardero, qui le commandait, fut exilé à Mayorque. Un fait qui rend la perfidie plus criante, c’est que les insurgés ne s’étaient soumis qu’après avoir exigé et obtenu la parole d’honneur de M. Martinez ; ils croyaient moins, disaient-ils, à la loyauté des autres membres du cabinet, ils avaient foi dans la sienne et pensaient n’avoir rien à craindre sous cette égide. Voilà ce qu’est devenu, après trois siècles de despotisme, l’antique honneur castillan.

Quant au général Llauder, cette journée l’annula. Appelé à la barre de la chambre pour se justifier, il fut d’une faiblesse à embarrasser ses ennemis eux-mêmes. Certes on peut être un fort mauvais orateur et un fort bon militaire ; mais de ce qu’on parle mal il ne résulte pas non plus que l’on se batte bien : Llauder l’a prouvé. Convaincu de double impuissance, il fut abandonné de tout le monde, et se réfugia couvert de confusion dans son gouvernement de Catalogne. Il avait eu la précaution de se le réserver, tout ministre de la guerre qu’il était, car il n’est pas homme, lui, à brûler ses vaisseaux. La junte se chargea plus tard du soin de les lui brûler.

Son successeur au ministère de la guerre fut le général Valdès, homme intègre et brave qui avait fait avec gloire les guerres d’Amérique, qui en était revenu pauvre, gloire encore plus rare, et dont l’Espagne vénère les vertus simples et vraiment antiques. Mais son honnêteté trop crédule était un écueil où il échoua. Son administration fut probe, mais impuissante. Appelé après Mina au commandement en chef de l’armée du Nord, il alla se perdre dans ce gouffre béant où tant d’autres s’étaient perdus avant lui. Combien s’y perdront encore ?

Disons, pour en finir avec l’insurrection du 18 janvier, que le sens politique n’en fut pas saisi ; c’est resté un mystère. Il y avait certainement quelque conjuration derrière les soldats ; mais il paraît qu’à l’heure de l’action le cœur faillit aux conspirateurs, et