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l’action ; ils sont sybarites ; ils aiment leurs aises ; il leur faut des loisirs, et ces loisirs, on les paie souvent cher.

Et puis, nous le disons, M. de Toreno n’est pas ambitieux. Il n’aspire pas au pouvoir ; il ne l’aime pas ; or, l’ambition est une passion nécessaire aux hommes d’état, c’est presque une vertu dans les hautes positions sociales ; c’est elle qui fait les grands ministres ; c’est elle qui triomphe des lenteurs, des dégoûts ; c’est par elle qu’on grave son nom sur le rocher des siècles et qu’on imprime une secousse au monde ; sans elle pas de conceptions durables, pas de dévouemens tenaces ; adieu la patience des longs desseins ! adieu l’exécution forte et puissante !

Pourtant il faut s’entendre. Nous ne parlons point de cette ambition vulgaire qui brûle le temple d’Éphèse. L’amour du bruit n’est qu’un appétit inférieur. L’ambition, c’est autre chose : c’est Jules César qui a une pensée et qui la poursuit ; au jour venu, il brise aux champs de Pharsale le patriciat romain ; c’est Richelieu qui a un but et qui y marche : il meurt, mais l’aristocratie française expire avec lui ; il laisse le trône et le peuple tête à tête ; c’est Napoléon, enfin, qui met le peuple sur le trône, et inocule à l’Europe entière la démocratie.

Voilà l’ambition ; et c’est d’un rayon de cet ardent foyer de vie que nous aurions voulu voir M. de Toreno pénétré et échauffé. Nous voudrions que la régénération de l’Espagne devînt son idée fixe, qu’il s’y dévouât, qu’il se jurât à lui-même de l’accomplir à tout prix. Mais il n’a pas en lui l’étincelle ; il n’est pas jaloux de se faire un grand nom en faisant une grande œuvre ; l’amour de la gloire ne le possède pas. De même qu’il n’aime pas assez l’empire, il n’aime pas assez l’Espagne. Formé, par les voyages de l’exil, aux mœurs européennes, son pays lui semble barbare et si en arrière des autres, qu’il en a plus d’une fois désespéré ; le soin de son éducation lui paraît un labeur ingrat. Il a poussé si loin l’insouciance, que nous l’avons vu perdre des votes, uniquement parce qu’il ne voulait pas prendre la peine de discipliner les cortès et de les mener, ce qui alors lui était facile.

Tels sont les défauts de M. de Toreno ; ils sont inhérens à sa nature comme on voit, et l’on aurait mauvaise grace de venir reprocher à un homme son tempérament. Aussi ne faisons-nous point de reproches, nous constatons un fait, et nous maintenons que,