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parer. Afin de le régulariser et de lui donner un caractère tout politique, on fusilla sur place plusieurs pillards. Les couvens abandonnés furent placés sous la sauvegarde publique ; on écrivit sur la porte : Propriété nationale.

Après cette première explosion, il y eut un temps d’arrêt, mais le feu était à la mine ; elle filait silencieusement, elle gagnait de proche en proche, elle alla sauter en Catalogne. Le premier massacre eut lieu à Reuss ; Tarragone suivit ; Barcelone vint après. Ces manifestations sanglantes sont affreuses, mais elles s’expliquent. D’abord, il faut faire la part et une large part à la violence des mœurs indigènes et aux excitations d’une lutte longue et acharnée ; ensuite, il ne faut pas oublier que dans toute l’Espagne, les couvens sont regardés comme les foyers naturels de la guerre civile, et les moines comme ses banquiers. Or, la guerre civile est la plaie saignante de la Péninsule ; celle-là est sentie par tout le monde ; tout le monde la voit ; de là le déchaînement général de l’opinion contre les cloîtres et leurs habitans ; c’est don Carlos, c’est la faction qu’on frappe en eux, et si c’est par eux que l’on commence, c’est que le péril est là, et que la société court au plus pressé.

C’est là sans doute, nous le répétons, un affreux syllogisme, et pour être conséquentes les conclusions n’en sont pas moins sanguinaires. Mais enfin, n’y a-t-il pas une consolation à reconnaître en allant au fond des choses, qu’au lieu d’être ainsi qu’on l’a dit, le résultat de féroces caprices et d’instincts aveugles et désordonnés, ces scènes meurtrières ne sont en dernière analyse que la conséquence outrée du droit de défense qu’a toute société attaquée, et que l’exagération du sentiment de conservation que l’individu apporte en naissant ?

Ici commence le rôle des juntes ; elles s’instituèrent en vertu du même droit de défense, du même sentiment de conservation. « Vous ne savez pas nous protéger, dirent-elles au gouvernement, nous vous retirons notre mandat, et nous allons nous protéger nous-mêmes. Les factieux inondent nos campagnes, ils descendent jusqu’à la porte de nos villes, nous allons pourvoir nous-mêmes à notre sûreté. » Puis vinrent les récriminations et la longue énumération des griefs passés ; ces griefs, nous les avons exposés nous-même assez longuement, et ils s’adressaient bien plus à l’administration de M. Martinez de la Rosa qu’à celle de M. de Toreno, qui ne faisait