S’il nous plaisait de faire ici un long recensement des témoignages du passé, nous verrions les philosophes et les poètes tous d’accord en cette vérité, que le bonheur est une chimère ; nous les ferions tous apparaître, et tous, le front triste, confesseraient que le bonheur n’est, à le bien prendre, qu’une apparence trompeuse, et, s’il est permis de parler ainsi, un mirage moral qui égarera toujours ceux qui penseront y rencontrer de la réalité. Parmi les philosophes, Épicure lui-même soutenait que nos plus grands consentemens ont leur siége dans la mémoire, et qu’ils dépendent uniquement du souvenir des choses passées. Quant aux poètes, les plus heureux en apparence, les plus charmés du séjour de la terre ont, au milieu de leurs joies, des accens d’une profonde mélancolie qui trahissent le secret de leur ame. Anacréon trouve la cigale plus heureuse que l’homme ; et Horace répète sur tous les tons que la vie est courte et fugitive :
Qui fit, Mæcenas, ut nemo quam sibi sortem
Seu ratio dederit, seu fors objecerit, illa
Contentus vivat, laudet diversa sequentes.
Nous retrouvons chez les modernes, comme chez les anciens, le même consentement pour attester que le bonheur n’est qu’une idée sans réalité. Combien de fois Voltaire n’a-t-il pas écrit, sous toutes les formes : « Bonheur, chimère. Si on donne le nom de bonheur à quelques plaisirs répandus dans cette vie, il y a du bonheur en effet ; mais si par là on entend autre chose, le bonheur n’est pas fait pour ce globe terraqué : cherchez ailleurs[1]. » Cette question et tous les problèmes qui s’y rapportent venaient le troubler au mi-
- ↑ Dictionnaire philosophique.