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DU BONHEUR.

On se représente ordinairement l’Épicuréisme comme la doctrine du plaisir : rien n’est plus faux, quant à Épicure. La vraie doctrine d’Épicure était, au contraire, fort triste. On y cherchait le contentement, il est vrai, mais un contentement tout-à-fait négatif, si je puis m’exprimer ainsi. Il s’agissait de n’être pas malheureux, de fuir l’agitation, les soucis, les inquiétudes, toutes les occasions de souffrance. Cache ta vie était le proverbe des épicuriens. Leur maxime était de ne pas s’entremettre d’affaires publiques. La volupté des sens était considérée par eux comme une nécessité, et comme la suite des besoins que nous donne la nature. Mais bien loin d’entretenir ses passions par l’idée que cette volupté fût en elle-même un bien, le sage ne devait tendre qu’à diminuer cette nécessité, et à vivre de plus en plus en repos, à l’abri des passions comme à l’abri du monde. Le calme avec un certain contentement, fondé sur la conscience de ne pas souffrir et d’avoir échappé à des périls sans nombre, voilà donc, en définitive, le souverain bien d’Épicure. Aussi Plutarque s’écrie : « Ô la grande félicité et la grande volupté dont jouissent ces gens-là, s’esjouissant de ce qu’ils n’endurent pas de mal, qu’ils ne sentent aucun souci, ni ne souffrent douleur quelconque ! » et il tâche de leur remontrer que cette espèce de calme plat où ils se fixent n’est pas chose bien désirable : « Platon, dit-il, ne vouloit pas qu’on estimât la délivrance de tristesse et d’ennui volupté, mais qu’on la regardât seulement comme la première ébauche des gros traits d’une peinture, une sorte de mélange du blanc et du noir où rien de dessiné ne paroîtroit encore. Mais il y a des gens qui, montant du bas au milieu, faute de bien savoir ce que c’est que le bas et ce que c’est que le milieu, estiment que le milieu soit la cime et le bout, comme font Épicure et Métrodore, qui définissent la nature et substance du bien-être fuite et délivrance du mal, et s’esjouissent d’une joie d’esclaves ou de captifs prisonniers, que l’on a tirés des prisons et déferrés, qui tiennent pour un grand bien que l’on les lave et les huile après qu’ils ont été bien fouettés et déchirés

    heureux humains ! cœurs aveugles ! au milieu de quelles ténèbres, et à quels périls vous exposez ce peu d’instans de votre vie ! Écoutez le cri de la Nature. Qu’exige-t-elle de vous ? Un corps exempt de douleur ; une ame libre de terreurs et d’inquiétude. » (Traduction de Lagrange.)