sombres et si vagues, qu’elle put à peine les distinguer ; la figure de l’autre brillait d’un éclat extraordinaire. Et en effet le premier n’arriva même pas à terme ; le second fut Thomas Morus[1].
Peu de temps après sa naissance, comme sa nourrice traversait à cheval une petite rivière, portant l’enfant dans ses bras, l’animal fit tout à coup un écart, entra dans une eau profonde, et mit en péril de mort la femme et son nourrisson. Celle-ci, voulant sauver au moins l’enfant, le lança dans un champ voisin, par-dessus des haies qui bordaient la rivière, non sans l’avoir recommandé à Dieu. Le cheval sortit en nageant du trou, et mit la nourrice saine et sauve sur le bord. La pauvre femme courut bien vite à l’enfant, et, l’ayant relevé[2], elle le trouva sans blessure, souriant doucement à sa nourrice.
Il reçut sa première éducation au collége Saint-Antoine, à Londres, où il se fit distinguer par sa facilité et son goût pour le travail. Le bruit en vint jusqu’aux oreilles du cardinal Morton, archevêque de Cantorbery et chancelier d’Angleterre, lequel demanda l’enfant à son père, lui donna des maîtres et le prit en amitié. Il n’était pas rare, à cette époque, que les ecclésiastiques d’un rang élevé se chargeassent ainsi de l’éducation de quelque enfant pauvre et heureusement né ; mais d’ordinaire, c’était pour en faire un homme d’église. Thomas Morus se développa rapidement dans la maison du cardinal. Aux fêtes de Noël, le prélat donnait un grand repas, à la suite duquel on jouait de petites pièces en latin ; les meilleures étaient toujours de la composition de Thomas Morus, à la fois auteur et acteur. Morton faisait à ses amis les honneurs de l’esprit de son protégé. Il n’épargnait pas les prédictions, disant qu’un enfant si précoce ne manquerait pas d’aller loin. Il l’envoya bientôt faire ses humanités à Oxford, au collége de Cantorbery. Morus avait alors environ quinze ans.
À Oxford, il fit successivement sa rhétorique, sa logique et sa philosophie, avec un succès prodigieux. On remarquait son application, son ardeur pour l’étude, son éloignement pour tous les amusemens, quoiqu’il y fût porté par un enjouement naturel, et par une chose qui, d’ordinaire, fait aimer la société, je veux dire l’esprit de saillie.