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THOMAS MORUS.

et dans les délassemens de la famille. Morus ne parlait pas de deux autres distractions qui lui prenaient beaucoup de temps ; c’étaient les animaux domestiques, oiseaux ou quadrupèdes, qui occupaient tout un corps de logis dans sa maison, et dont il aimait à observer les mœurs ; c’était sa guenon favorite, venue des Grandes-Indes, ou bien des animaux du pays, un beau renard, un furet, une belette, souvent achetés à grand prix ; c’était encore son cabinet de choses précieuses, où étaient rassemblées des curiosités, soit du pays, soit exotiques, des minéraux, de grands coquillages des mers de l’Inde, des coraux, toutes choses dont il s’amusait beaucoup, et dont il faisait les honneurs à l’étranger que lui adressait quelque membre accrédité de la république littéraire et chrétienne. Là surtout les heures s’écoulaient à faire l’histoire de chaque pièce, et à s’amuser de l’étonnement ou du plaisir qu’elles causaient à ses hôtes[1].

Cependant Morus sentait le besoin de prendre un rang parmi les lettrés de l’Europe. Ses amis lui rappelaient ses débuts, et le pressaient de réaliser les espérances qu’il avait données. Après le temps consacré aux affaires et à la famille, aux gens et aux bêtes, à recevoir les hôtes et à leur demander des nouvelles de Budé, d’Érasme, de Petrus Egidius, il ne lui restait de libre que l’heure des repas et le temps du sommeil. Les repas, que son extrême sobriété avait déjà rendus si courts, il les réduisit encore[2]. Ils consistaient en un morceau de viande salée, des œufs, quelques fruits, et de l’eau bue dans un gobelet d’étain. Pour le menu il n’y avait guère à en retrancher : il en ôta encore les doux entretiens de table avec la famille, lesquels donnent du charme au plus maigre dîner. Quant au sommeil, et quoique ses fatigues le lui rendissent nécessaire, il l’abrégea de quelques heures qu’il employait aux lectures dans sa bibliothèque, et à la composition lente et fréquemment interrompue du livre qui allait faire sa gloire et marquer sa place dans le grand travail de la renaissance des lettres. Ce livre, c’était l’Utopie.

Morus avait alors trente-cinq ans. L’Utopie, terminée en 1517, ne fut publiée qu’en 1518. Ces années-là, quoique fort accablées, avaient été des années heureuses. À l’étranger, en Flandre, en

  1. Lettr. d’Érasme, 474, EF.
  2. Œuvres latines.