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zot ? Qui s’opposa, dans la discussion des lois de septembre, à la modification de l’institution constitutionnelle du jury, si ce ne furent MM. de Broglie et Guizot ? Et qui l’emporta dans le sens opposé, si ce n’est M. Thiers ? Quel autre que M. Thiers a parlé sept heures à la tribune, en faveur de l’hérédité de la pairie ? Quel est celui d’entre les membres du cabinet de la dernière quinzaine qui a prononcé le dernier discours, et le discours le plus explicite, contre la conversion des rentes ? Quel a été, dans ce même cabinet, l’adversaire le plus acharné de l’amnistie ? Lequel traitait le tiers-parti et la gauche avec le plus de dédain ? Lequel se refusait à accorder la moindre capacité, le moindre esprit d’affaires aux membres qui siègent de ce côté ? M. Thiers dira peut-être que c’est M. Guizot ; mais tout le cabinet se lèvera et dira que c’est M. Thiers ; et M. Guizot seul le dirait, qu’on en croirait M. Guizot, tout homme de la restauration et tout ministre déchu qu’il soit à cette heure.

Quel aristocrate, bon Dieu ! que M. Guizot, qui a traversé toute la restauration, et qui, après avoir rempli plusieurs fois d’éminentes fonctions, est arrivé aux jours de juillet sans avoir accepté ni une sinécure, ni une distinction, ni un titre de noblesse, et qui s’est contenté d’une chaire de professeur, dont il a été destitué à cause de son indépendance ! Quand M. Thiers, riche, chamarré de rubans et doté de quelque ambassade, aura quitté le ministère, sa voiture éclaboussera l’aristocrate Guizot, qui, depuis huit jours, va de nouveau à pied dans les rues, pour se rendre de la Chambre à sa modeste petite maison, noble propriété dont l’immense revenu (3000 francs) compose à peu près toute sa fortune. Il est vrai que M. Guizot pourra se consoler en lisant cette page tirée de ses propres écrits, qu’il a oubliée sans doute, et que nous livrons à ses méditations « Quel homme, en prenant part aux affaires publiques, n’a été amené plus d’une fois à considérer avec tristesse cette fluctuation des sentimens, des existences, des relations, des liens hasardés sur cette mer orageuse ? Vainement, le cours du monde nous en offre chaque jour le pénible spectacle, quand une nouvelle épreuve de ce peu de solidité des choses les plus sérieuses vient saisir l’ame, et la pousse à se replier sur elle-même, elle n’est plus tentée d’abord que de s’affliger et de déplorer, avec Bossuet, ces volontés changeantes, et cette illusion des amitiés de la terre qui s’en vont avec les années et les intérêts. Cependant, lorsqu’elle échappe à ce premier trouble et se relève de son propre mal ; lorsqu’elle reporte sa vue sur les causes innombrables de nos maux et la faiblesse de notre nature, tant de convictions opposées et suivies, tant de conduites pures et ennemies, tant d’hommes engagés par l’arrêt du sort ou sur la foi d’une idée, à s’ignorer mutuellement, à se combattre, à se détruire ; et au milieu de ces naufrages individuels, dans cette éternelle mobilité