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THOMAS MORUS.

ces retours qu’il fit si souvent contre sa propre logique, autorisait, en attaquant les briseurs d’images et les nouveaux Jacques de la Basse-Allemagne, la confusion qu’on tendait à faire généralement entre un hérétique et un rebelle, entre la liberté de conscience et l’esprit de sédition. Morus, dans ses opinions si dures sur les protestans, ne faisait donc que donner à la réprobation générale l’exagération et la couleur de son austérité personnelle. L’opinion et la légalité étaient pour lui. Il ne faut pas oublier qu’il y avait des lois et des juridictions établies dans toute l’Europe catholique pour le châtiment régulier de l’hérésie. En Angleterre, où ces lois avaient été de tout temps sévèrement appliquées, et toujours soutenues par l’opinion, à cause de l’ardeur particulière du peuple anglais pour les choses de religion, les premières accusations soumises au jury dans chaque session de la justice de paix, dans chaque session pour les affaires criminelles et d’emprisonnemens, dans chaque session d’appel, étaient les accusations d’hérésie[1].

Outre la justice temporelle, il y avait tout un ordre de lois spirituelles, dont l’application avait été déférée par les conciles aux évêques, et qui attribuait à ceux-ci le droit de connaître des délits de religion, de prononcer des jugemens en forme de bulles, et de livrer les coupables au bras séculier. Quelquefois ces deux justices étaient indépendantes l’une de l’autre, sauf pour les exécutions capitales, où la justice ecclésiastique empruntait toujours la main de la justice civile ; le plus souvent la première n’était en quelque sorte qu’un premier degré de juridiction avant d’arriver à la seconde. La justice ecclésiastique paraissait humaine, raisonnable, miséricordieuse, en ce que, jusqu’à la fin, elle permettait au coupable de sauver sa vie en se rétractant. On croyait faire beaucoup en laissant aux dissidens cette chance de salut, parce qu’on n’avait qu’une idée très confuse de la liberté de conscience, et qu’on ne croyait pas qu’un homme pût aimer mieux mourir que se rétracter d’une damnable erreur, à moins de malice, nom dont on qualifiait, entre autres crimes, celui de haute trahison. Morus, qui défendit cette justice, ne voyait pas, dans le courage de l’homme mourant pour sa croyance, le noble et sublime entêtement pour une idée, c’est-à-dire le plus haut point de perfection morale de l’homme ; il

  1. Apologie, 909 G.