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succès s’accrut d’une inconcevable façon. Plus on entendait cette œuvre, plus on était ravi : Weber fut proclamé vainqueur. M. Meyerbeer, lui aussi, admira, et certes cette musique dut produire sur son esprit un effet bien puissant, car ce fut elle, on n’en peut douter, qui décida sa vocation nouvelle et l’entraîna loin des sentiers italiens qu’il avait jusque-là suivis. Alors il lui vint à l’esprit d’écrire Robert-le-Diable, œuvre de transition développée outre mesure, dans laquelle le maître oublie à chaque instant ce qu’il veut être pour ce qu’il était, où la cabalette italienne et la phrase allemande se heurtent pêle-mêle, où le caractère mignard d’Isabelle touche cette admirable création d’Alice, où le chœur des moines étouffe à peine les cantilènes ornées du quatrième acte. Et qu’on ne s’y trompe pas, c’est justement cette variété de pensées assemblées avec un goût exquis, ce mélange d’élémens divers fondus avec un art incontestable, qui ont fait le succès prodigieux de Robert. Chacun y trouvait sa pâture, tous s’en allaient contens. Il y avait là assez de cabalettes pour transporter le dilettante le plus véhément, assez de combinaisons instrumentales pour mettre en émoi toutes les facultés sensitives de Kressler. En général, dans l’art, les termes moyens réussissent presque toujours. Ne me parlez pas de ces hommes qui s’avancent tête haute, sans autre appui que leur conviction inébranlable, et portent leur idée comme une massue pour écarter la foule et faire des trous dans les murailles.

Il faut le dire, ce qui, dans Robert-le-Diable, appartient en propre à M. Meyerbeer, c’est le rôle d’Alice ; cette blonde et charmante figure se place, sinon tout à côté, du moins bien près de l’Agathe de Weber, type éternel de ces belles filles du Nord rêveuses et tristes, qui donnent leur ame comme une fleur des champs au plus honnête cavalier qui les accoste, pleines d’inquiétudes dans leurs amours, de pressentimens et de vagues superstitions dans les heures de bonheur ; d’Agathe, qui n’a au monde qu’une sœur, la Marguerite de Faust. Alice peut se contenter de n’être que la cousine d’Agathe. C’est pour la création de M. Meyerbeer une parenté glorieuse, et dont beaucoup seraient jalouses. Depuis ce temps, M. Meyerbeer paraît préoccupé de l’œuvre de Weber, et semble vouloir s’arrêter à tous les endroits où l’auteur de Freyschütz a posé une borne. Je ne dis pas ces choses à propos seulement de Robert-le-Diable ; il peut venir à l’esprit de