Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 5.djvu/695

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
691
POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

a fondu le moule sonore de sa pensée, il le jette sur le chemin où les esclaves le ramassent pour y répandre la cire et l’eau. M. Meyerbeer abuse de la modulation, comme a fait Rossini du crescendo. À tout prendre, j’aime mieux le procédé de Rossini, si toutefois on peut appeler procédé l’inspiration pure et simple. Chez l’auteur de Sémiramis et de Guillaume Tell, la mélodie est moins visiblement fixée à l’orchestre par les clous de la science, et pourtant, chose étrange, elle vit plus de sa propre vie ; elle forme avec lui un tout plus harmonieux, le double travail de la création se fait simultanément ; la mélodie sort de son cerveau pourvue de son enveloppe instrumentale, et d’un seul jet, comme le bronze de la fournaise. L’auteur de Robert-le-Diable ne lui file sa robe que long-temps après sa venue au monde, et s’y prend à deux fois. Ce n’est pas lui qui laisserait subsister la moindre imperfection : il travaille et cisèle chaque partie avec un soin minutieux ; et, si l’ensemble est moins grandiose et moins complet, les détails ont plus de délicatesse, de correction et d’élégance. L’instrumentation de Rossini est le propre corps de sa mélodie, celle de M. Meyerbeer n’en est que le vêtement.

Un des mérites des Allemands, c’est la composition des caractères dans la musique. Tous les grands maîtres de leur école semblent s’être exclusivement occupés de cette partie essentielle de l’art. Voyez Beethoven et Weber. Agathe, Max et Casper dans Freyschütz, Léonore et Florestan dans Fidelio, quelles créations, bon Dieu ! Comme tout cela est arrêté, net et précis ! comme il est impossible que l’un chante la phrase de l’autre et se l’approprie ! comme la correction des lignes empêche pour les yeux toute confusion dans ces peintures solennelles ! Chacun de ces personnages s’enferme dans un sentiment à travers lequel il communique avec le monde extérieur. L’idée est simple d’abord, puis insensiblement elle se complique à mesure que d’autres idées se groupent autour d’elle et la fécondent de leurs propres rayons, mais sans rien lui faire perdre de sa nature première et inaltérable. Un caractère est dans le cerveau du musicien allemand, comme le motif dans son orchestre. Il naît isolé, puis s’aventure dans la foule des instrumens qui le presse, l’étourdit, l’emporte, et lui, au milieu de tant de voix étranges, de tant d’élémens assemblés pour l’anéantir, marche toujours, et garde jusqu’à la fin son individualité naturelle. Je cite ici Weber et Beethoven, car de Mozart il n’en faut