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l’expression convenable et consacrée selon laquelle elles se produisent. On peut dire à certains égards qu’il y a deux littératures, comme dans les antiques écoles il y avait deux doctrines ; une littérature officielle, écrite, conventionnelle, professée, cicéronienne, admirative ; l’autre orale en causeries du coin du feu, anecdotique, moqueuse, irrévérente, corrigeant et souvent défaisant la première, mourant quelquefois presque en entier avec les contemporains. M. Villemain, plus que personne en ce temps, possède les deux. Dans sa première manière, il s’est gardé soigneusement de faire rien passer de l’une dans l’autre. Bayle et Voltaire n’en agissaient pas si discrètement. Bayle, il est vrai, qui, suivant la remarque de M. Villemain, exerçait sa critique sur l’érudition et sur la philosophie plus que sur le goût, n’y regardait pas de bien près en délicatesse, et Voltaire, par passion, se permettait souvent d’étranges familiarités. Toutefois, dans sa première manière, M. Villemain poussait trop loin le scrupule. L’habitude des discours académiques, qui consiste à revêtir, selon le précepte de Buffon, les choses particulières de termes généraux, se retrouve, à l’absence de certains détails, jusque dans le grand morceau sur Pascal des premiers Mélanges. L’anecdote de la conversation de Pascal avec M. de Saci, et celle de la roulette résolue pendant un violent mal de dents, sont indiquées par allusion et noblement, au lieu d’être expressément racontées ; ce qui pourtant mordrait bien mieux sur l’esprit du lecteur. Plus tard, dans d’admirables biographies, telles que celle de Fénelon déjà, et celle de Byron enfin, dans ses cours animés d’intéressantes et nombreuses figures, dans ses deux leçons, par exemple, sur Bernardin de Saint-Pierre, M. Villemain n’a pas craint la propriété et le relief du détail ; il a semblé tout concilier. Après cela, un reste de convenance traditionnelle l’emporte encore par instans et continue de masquer certains endroits. Il s’est ressouvenu ainsi plus d’une fois qu’il parlait en Sorbonne (comme il disait), et il s’est détourné spirituellement là où son tact pouvait tout oser. Dans sa belle et récente biographie de Byron, il a évité de sonder la corruption du cœur et s’est rejeté vite sur la licence d’imagination, quand cette corruption trop certaine, plus approfondie, eût mieux donné à connaître, ce semble, l’abîme mystérieux du génie et les alliances contradictoires de la nature humaine. Peut-être a-t-il bien fait, et son goût supérieur l’a-t-il mieux guidé, après tout, que ne l’eût fait