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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

hommes qui ont assez peu d’entrailles pour abuser de sa faiblesse, et chercher des morceaux d’or dans les ruines de ses autels ? Elle se soumet : on viole le sanctuaire ; la plus grossière foule s’y rue en tumulte ; l’un prend un rochet d’évêque, l’autre un chapeau de cardinal ; celui-ci la double croix, celui-là le calice, et la parodie aussitôt se consomme au bruit des cloches. Heureuse encore la religion quand on ne souille que la robe de ses pontifes ! Voyez ce qui arrive à propos de la pièce des Huguenots : l’autorité s’est opposée à ce que Charles ix et Catherine de Médicis vinssent accomplir sur la scène des actes odieux dont ils sont, après tout, seuls responsables dans l’histoire. Qu’a-t-on fait ? on est allé chercher des moines pour leur faire porter tout le fardeau de crimes qui pèse sur les épaules d’une reine ; on a enlevé du manteau de la royauté cette large tache de sang pour la transporter sur la chasuble blanche de l’église, et cela par la seule raison que la royauté, puissante encore, quoi qu’on dise, défend qu’on touche à ses priviléges, tandis que l’église abandonnée est humble, et ne peut opposer que résignation à l’insulte. En vérité, c’est là faire un emploi bien généreux de sa force !

La partition des Huguenots est un progrès éclatant dans la manière de M. Meyerbeer. Ici le musicien ordonne mieux les voix et les dirige avec plus d’art et de simplicité ; moins préoccupé des détails, il donne plus à la grandeur de la composition, il est plus maître enfin de son propre style, ce qui, dans le système de M. Meyerbeer, est une qualité indispensable. Et voilà ce qui fait que les imitateurs, je ne dirai pas de son école, mais de son procédé, dépourvus de cette force de modération qu’il possède, lui, à un si haut degré, doivent infailliblement succomber, vaincus par les moyens même qu’ils mettent en jeu. Le mélodiste peut, au besoin, se laisser entraîner par son inspiration ; la mélodie a des ailes qui vous portent dans le ciel ; l’instrumentiste, au contraire, exerce sur ses élémens une puissance d’autant plus absolue, que le monde qu’il gouverne est plus matériel. On peut être esclave de la pensée, mais non pas de la forme. Je le répète, c’est justement cette qualité de modération qui fait de M. Meyerbeer un homme à part. Tout dans son orchestre s’accomplit exactement selon sa volonté, il ne laisse rien au hasard, rien à la fantaisie. Par quelle succession de veilles, par quel enchaînement de travaux il en est venu là ? c’est