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mot qui n’est guère de sa langue choisie, il s’y ravitaillait toujours. Chez beaucoup de critiques de coup d’œil ferme d’ailleurs et pénétrant, les spécialités trop isolées ou trop ramassées ne donnent pas autant de champ et d’horizon. Si sur quelques-uns de ces points isolés, d’art principalement, M. Villemain ne nous semble ni assez, prompt, ni assez formel, c’est que le parfait critique, comme Cicéron l’a dit de l’orateur, est impossible à trouver.

Dans le plein du succès de M. Villemain, un jour d’été de 1827, vers la fin du ministère Villèle, un auditeur s’était glissé dans la foule, quelques instans avant l’entrée du maître ; mais il s’était mal dérobé aux regards, en s’asseyant bien vite sous la statue de Fénelon. M. de Châteaubriand entendit M. Villemain parler de Milton, de ce Paradis perdu qu’il traduit aujourd’hui, et qu’on attend. Une ou deux allusions bien naturelles et inévitables, jaillirent du front du grand aveugle biblique sur celui du chantre des chrétiennes amours. Des applaudissemens inextinguibles solennisèrent ce moment, où tant de jeunes yeux brillaient d’étincelles et de larmes ; c’était aussi un serment de liberté et d’avenir. La salle entière se leva, la statue de Fénelon dénonçait l’idole. Fontanes, de quelque endroit du plafond, regardait ses deux amis, et jouissait, mais s’étonnait de tant d’audace.

M. Villemain n’est pas poète ; il a probablement fait autrefois de jolis vers latins. Je ne sais de lui que deux vers français, et encore, comme c’est un début en vers croisés, ils ne riment pas. Mais, comme tous les grands critiques, il a son poète, et ce poète c’est M. de Châteaubriand. Après l’antiquité grecque ou chrétienne, après son moyen-âge et Shakspeare, il est un lieu où M. Villemain, professeur, a toujours aimé toucher, vers la fin du discours, comme on arrivait avec joie près du temple de Delphes, sur ce terrain sacré où cessaient les guerres. Tout ce culte de l’imagination, qui est la vertu, la foi, l’éloquence du critique, il le transporte, parmi les contemporains, sur M. de Châteaubriand. M. de Lamartine seul a partagé quelquefois les honneurs de ces citations toujours certaines et applaudies. M. Villemain aime donc M. de Châteaubriand, et c’est un trait de son talent de critique. On est heureux, dit-il, de le connaître, de vivre de son temps. On comparaît je ne sais plus quel style de nos jours à celui-là : « Oh ! ne