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mées plus haut. Il me suffira de les citer et de remarquer que ce qu’on y peut trouver de plus blâmable, c’est le titre qu’on leur a donné ; car ce ne sont pas des batailles, d’abord parce qu’on ne s’y bat point, et on ne pouvait pas s’y battre, puisque l’Empereur est là en personne.

À Iéna, l’Empereur entend sortir des rangs de la garde impériale les mots : En avant ! « Qu’est-ce ? dit-il, ce ne peut-être qu’un jeune homme sans barbe, qui veut préjuger de ce que je dois faire. » Tel est le sujet du premier épisode. Voyons ce qu’en fait M. Vernet : il lance l’Empereur au galop, Murat le suit, la colonne porte les armes. Un soldat pris d’enthousiasme crie en agitant son bonnet ; l’Empereur s’arrête : le geste est sévère, l’expression vraie ; et sans aller plus loin, n’y a-t-il pas là beaucoup d’habileté ? Quel effet eût produit, je suppose, l’Empereur à pied, les mains derrière le dos ? ou quelle que fût sa contenance, quel autre geste eût mieux rendu l’action ? Ce cheval ardent qui trépigne, retenu soudain par une main irritée, cette tête qui se retourne, ce regard d’aigle, tout fait deviner la parole. Cependant, dans le creux d’un ravin, les grenadiers défilent en silence ; au-delà du tertre, l’horizon. Assurément, je le répète, ce n’est pas la bataille d’Iéna ; mais c’est le sujet, tel qu’il est donné, conçu adroitement et nettement rendu. Voudriez-vous voir une plaine ? L’armée ? que sais-je ? pourquoi pas l’ennemi ? et l’Empereur perdu au milieu de tout cela ? eh ! s’il était si petit et si loin, on n’entendrait pas ce qu’il dit.

David disait à Baour-Lormian : « Tu es bien heureux, toi, Baour, avec tes vers, tu fais ce que tu veux ; tandis que moi, avec ma toile, je suis toujours horriblement gêné. Supposons que je veuille, par exemple, peindre deux amans dans les Alpes. Bon. Si je fais deux beaux amans, des amans de grandeur naturelle, me voilà avec des Alpes grosses comme rien ; si au contraire je fais de belles Alpes, des Alpes convenables, me voilà avec de petits amans d’un demi-pied, qui ne signifient plus rien du tout ! Mais toi, Baour, trente pages d’Alpes, trente pages d’amans ; t’en faut-il encore ? trente autres pages d’Alpes, trente autres pages d’amans, etc. »

Ainsi parlait le vieux David dans son langage trivial et profond, faisant la plus juste critique des critiques qu’on lui adressait. M. Vernet pourrait en dire autant à ceux qui lui demandent autre chose que ce qu’il a voulu faire. Puisque l’acteur est Napoléon,