ne connaît. — Robert ! m’écriai-je, Léopold Robert ? Peut-on le voir ? où est son atelier ? — Il n’en a point, puisqu’il n’a qu’une petite chambre ; on ne peut pas le voir ; jamais personne ne vient. »
Je demandai, quelques jours après, à M. de Sacy, consul de France, si l’on pouvait obtenir de Robert la permission de le voir un instant ; M. de Sacy me répondit que je ne serais pas reçu si j’y allais, à moins que je ne fusse connu de lui ou de l’ami qui demeurait avec lui ; mais que si je voulais faire une demande, elle serait accueillie avec bonté. Ma démarche n’eut pas de suite, et je ne voulus pas insister, de peur d’importuner le grand peintre. Mais jamais, depuis ce temps-là, je n’ai passé sur le petit canal qui baignait les murs de la maison, sans regarder les fenêtres avec tristesse. Cette solitude, cette crainte du monde, qui fuyait même les compatriotes, non par mépris, mais par ennui sans doute ; ce mot : « que personne ne connaît ; » cette misère du casin, que le soin et la propreté même faisaient ressortir ; tout me pénétrait et m’affligeait à cette époque, Léopold Robert terminait son Départ pour la pêche.
Ah ! Dieu ! la main qui a fait cela, et qui a peint dans six personnages tout un peuple et tout un pays ! cette main puissante, sage, patiente, sublime, la seule capable de renouveler les arts et de ramener la vérité ? cette main qui, dans le peu qu’elle a fait, n’a retracé de la nature que ce qui est beau, noble, immortel ! cette main qui peignait le peuple, et à qui le seul instinct du génie faisait chercher la route de l’avenir là où elle est, dans l’humanité ! cette main, Léopold, la tienne ! cette main qui a fait cela, briser le front qui l’avait conçu !