Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/214

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
210
REVUE DES DEUX MONDES.

délicats et les plus parfumés de Tortoni. Certainement le souvenir de la Bérésina de l’amour, que je passai à cette époque, m’empêcha, pendant quelque temps, de goûter même les dames les plus parfaites, des femmes semblables aux anges, des jeunes filles douces comme des glaces à la vanille.

— Je vous en prie, s’écria Maria, ne dites point de mal des femmes. Ce sont des façons de parler rebattues, propres aux hommes. Mais à la fin, pour être heureux, vous avez pourtant besoin des femmes.

— Oh ! dit Maximilien avec un soupir, je ne le nie point. Mais les femmes n’ont, hélas ! qu’une seule manière de nous rendre heureux, tandis qu’elles en connaissent trente mille de faire notre malheur.

— Cher ami, répliqua Maria en comprimant un léger sourire, je parle de l’accord de deux ames animées des mêmes sentimens. N’avez-vous jamais connu cette félicité ?… Mais je vois courir sur vos joues une rougeur inaccoutumée… Dites donc, Max ?

— Il est vrai, reprit Maximilien, j’éprouve presque un embarras d’enfant à vous avouer l’amour qui jadis m’a comblé de bonheur ! Ce souvenir n’est point encore évanoui, et c’est sous ses frais ombrages que mon ame se réfugie souvent encore quand la poussière brûlante et la chaleur de la vie journalière deviennent insupportables. Mais je ne suis point en état de vous donner une juste idée de cette maîtresse ; elle était d’une nature si éthérée, qu’elle ne put se révéler à moi qu’en rêve. Je pense, Maria, que vous n’avez contre les rêves aucun préjugé banal ; ces apparitions nocturnes ont certainement autant de réalité que les apparitions plus grossières du jour, que nous pouvons toucher de la main, et contre lesquelles nous nous salissons assez souvent. Oui, c’était en songe que je la voyais, cette charmante créature qui m’a rendu le plus heureux des hommes. J’ai peu de choses à dire sur son extérieur. Je ne suis point à même de détailler les traits de son visage ; c’était une figure que je n’avais jamais vue auparavant et que je n’ai jamais revue dans la vie. Je me rappelle seulement qu’elle n’était point blanche ni rose, mais d’une seule couleur, d’une blancheur jaunâtre, et transparente comme l’ambre. Le charme de cette figure ne résidait, ni dans une parfaite régularité de traits, ni dans une intéressante mobilité. Ce qui la distinguait, était un caractère de sin-