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notre siècle, la double formation de la république fédérale. Tandis que en Virginie, des aventuriers, des chercheurs d’or, de rudes cultivateurs, sortis des dernières classes européennes, fondaient un établissement presque aussitôt envahi par l’esclavage, au nord de l’Hudson, les hommes d’élite de l’Angleterre apportaient avec leur religion proscrite des déclarations de droit pures de toute iniquité. Ainsi composée sous ces influences contraires, que pouvait faire l’Union quand elle se déclara indépendante ? Les états du sud n’auraient point prêté leur concours à ceux du nord, si l’abolition de l’esclavage avait été une condition du pacte fédéral. Il a donc fallu tolérer le mal introduit par les nations d’Europe, là où le besoin de s’unir contre l’Angleterre, et plus tard les nécessités diverses qui ont été la conséquence de cette situation primitive, ne permettaient pas d’agir autrement. L’Union, formée de nations originairement indépendantes, devait s’abstenir de proclamer dans son acte constitutionnel et de confier à son gouvernement central les pouvoirs d’affranchissement que la métropole française a sur ses colonies.

Si les obstacles d’une émancipation étaient appréciables par des chiffres elle serait environ vingt fois plus facile dans nos possessions coloniales qu’aux États-Unis et trois fois plus difficile à l’Angleterre qu’à la France[1]. Mais bien d’autres considérations en ces tristes matières nous font un devoir de l’indulgence. L’Union n’a point ses noirs dispersés comme ceux des Antilles françaises et anglaises, dans un archipel où elle puisse les émanciper localité par localité, et déployer ainsi contre un mal isolé une immense supériorité d’action. Ses 2,500,000 esclaves forment une masse compacte sur une seule partie du continent occupé par sa population tout entière. Son unité nationale, son industrie, son commerce, sa sécurité intérieure, tous ses intérêts se trouvent à la fois engagés dans la question de l’affranchissement, tandis que la France et l’Angleterre ne dépendent nullement de leurs possessions des Indes occidentales.

L’esclavage ne peut cesser que de trois manières : 1o  par une insurrection des noirs plus ou moins semblable à celle de Saint-Domingue ; 2o  par l’autorité de la métropole sur ses colonies, ainsi qu’on le voit dans les Antilles britanniques ; 3o  par le gouvernement local des pays à esclaves, c’est-à-dire par les décisions de la majorité qui gouverne, quand les planteurs et les noirs sont en minorité, comme cela s’est fait depuis long-temps et pour la première fois dans plusieurs états de l’Union américaine.

  1. Les États-Unis ont 2.500.000 esclaves pour 14.000.000 d’habitans ; la France a 32.500.000 habitans sur son territoire continental, et 294.000 esclaves dans ses colonies. On comptait dans les îles britanniques, soumises à l’apprentissage, 830.000 esclaves, et dans le Royaume-Uni plus de 24.000.000 d’habitant, lorsque le bill d’émancipation fut voté en 1833.