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tune, et s’entretenir ainsi lui-même dans les illusions et les espérances de l’ambition paternelle[1]. Né serf de la maison royale, le fils de Leocadius fut compris, au sortir de l’enfance, dans une réquisition de jeunes gens, faite pour le service des cuisines par l’intendant en chef des domaines du roi Haribert[2]. Dans une foule d’occasions, cette sorte de presse était exercée par l’ordre des rois franks sur les familles qui peuplaient leurs vastes domaines ; et des personnes de tout âge, de toute profession, et même d’une naissance distinguée, se voyaient contraintes de la subir[3].

Transporté ainsi loin de la petite île où il était né, le jeune Leudaste se signala d’abord entre tous ses compagnons de servitude par son défaut de zèle pour le travail et son esprit d’indiscipline. Il avait les yeux malades, et l’âpreté de la fumée l’incommodait beaucoup, circonstance dont il se prévalait avec plus ou moins de raison dans ses négligences ou ses refus d’obéir. Après des tentatives inutiles pour le dresser au service qu’on exigeait de lui, force fut ou de le laisser aller ou de lui donner un autre emploi. On prit ce dernier parti, et le fils du vigneron passa des cuisines à la boulangerie, ou, comme s’exprime son biographe original, du pilon au pétrin[4]. Privé des prétextes qu’il pouvait alléguer contre son ancien travail, Leudaste s’étudia dès-lors à dissimuler, et parut se plaire extrêmement à ses nouvelles fonctions. Il les remplit durant quelque temps avec une ardeur grace à laquelle il réussit à endormir la vigilance de ses chefs et de ses gardiens ; puis, saisissant la première occasion favorable, il prit la fuite[5]. On courut après lui, on le ramena, et

  1. Cracina Pictavensis insula vocitatur, in qua a fiscalis vinitoris servo, Leocadio nomine, nascitur. (Greg. Turon. Hist. Francor. ecclesiast., lib. v, apud scrip. rerum francic., tom. ii, pag. 261.) — V. Adriani Valesii Notit. Galliar., pag. 463.
  2. Exinde ad servitium arcessitus, culinæ regiæ deputatur. (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 261.)
  3. Ipse vèro (Chilpericus) jam regressus Parisius, familias multas de domibus fiscalibus auferri præcipit et in plaustris componi… multi vero meliores natu, qui vi compellebantur abire, testamenta condiderunt. (Ibid. lib. vi, pag. 289.)
  4. Sed quia lippis erat in adolescentia oculis, quibus fumi acerbitas non congruebat, amotus a pistillo promovetur ad cophinum. (Ibid. lib. v, pag. 261.)
  5. Sed dùm inter fermentatas massas se delectari consimulat, servitium fugam iniens deriliquit. (Ibid.)