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sieurs années dans la clientelle de Chlodowig, le dernier des fils du roi Hilperik et de la reine Audowere[1]. Quoique répudiée et bannie, cette reine, femme d’origine libre et probablement distinguée, avait conservé dans son malheur de nombreux partisans, qui espéraient pour elle un retour de faveur et croyaient à la fortune de ses fils, déjà hommes faits, plus qu’à celles des jeunes enfans de sa rivale. Fredegonde, malgré l’éclat de ses succès et de sa puissance, n’avait pu réussir entièrement à faire oublier autour d’elle la bassesse de sa première condition, et à inspirer une pleine confiance dans la solidité du bonheur dont elle jouissait. Il y avait des doutes sur la durée de l’espèce de fascination qu’elle exerçait sur l’esprit du roi. Beaucoup de gens ne lui rendaient qu’à regret les honneurs de reine. Sa propre fille Rigonthe, l’aînée de ses quatre enfans, rougissait d’elle, et, par un instinct précoce de vanité féminine, ressentait vivement la honte d’avoir pour mère une ancienne servante du palais[2]. Ainsi les tourmens d’esprit ne manquaient pas à l’épouse bien-aimée du roi Hilperik, et le plus grand de tous était pour elle, avec cette tache de sa naissance que rien ne pouvait effacer, l’appréhension que lui causait la concurrence pour la royauté de leur père entre ses enfans et ceux du premier lit.

Délivrée par une mort violente des deux fils aînés d’Audowere, elle voyait encore le troisième, Chlodowig, tenir en échec la fortune de ses trois fils, Chlodobert, Dagobert et Samson, dont le plus âgé n’avait pas quinze ans. Les opinions, les désirs, les espérances ambitieuses se partageaient dans le palais de Neustrie entre l’avenir de l’un et celui des autres. Il y avait deux factions opposées qui se ramifiaient au dehors et se retrouvaient dans toutes les parties du royaume. Toutes les deux comptaient parmi elles des hommes anciennement et solidement dévoués, et des recrues de passage qui s’attachaient ou se détachaient au gré de l’impulsion du moment. C’est ainsi que Rikulf et Leudaste, l’un vieux partisan de la fortune de Chlodowig, l’autre récemment ennemi de ce jeune prince,

  1. Riculfus verò presbyter, qui jam a tempore beati Euphronii episcopi, amicus erat Chlodovechi… (Greg. Turon. Hist. lib. v pag. 264.)
  2. Rigunthis autem filia Chilperici, cùm sæpiùs matri calumnias inferret, diceretque se esse dominam, genitricemque suam servitio redhiberi, et multis eam et crebro conviciis lacessiret… (Ibid., lib. ix, pag. 352.)